Samedi 10 mai, Renaud Capuçon, Simone Young et l’Orchestre National de Lyon se sont réunis à l’Auditorium de Lyon pour interpréter un chef-d’œuvre de Camille Pépin.
Prélude
Trois étudiants du CNSMD (Conservatoire National Supérieur de Musique et Danse) de Lyon nous ont offert un pré-concert à 17 h, avant la tant attendue représentation de l’ONL (Orchestre National de Lyon). Le trio Doroné, constitué de la flûtiste Shuyu Yang, de l’altiste Chloé Fesneau et du harpiste Andrei Olaru, a interprété deux morceaux, dont un extrait d’une composition de l’un de leurs camarades, Vincent Portes.
Dans cette œuvre contemporaine nommée Perspectives, des sons électroniques, comme des bruits de déclencheurs d’appareils photo, occupent une place importante. Les musiciens ont utilisé des pédales pour déclencher ces sons préenregistrés et ont également usé de techniques de jeu peu courantes. Nous avons ainsi découvert le glissé harmonique à l’alto, ressemblant étrangement à un cri de mouette.
Le second morceau, And Then I Knew It Was Wind (Et là, j’ai su que c’était le vent), a été composé par un Japonais amoureux de la nature du nom de Takemitsu. Cette pièce accorde une grande importance au silence. La harpe commence seule et nous fait entendre un motif qui sera repris plus tard par l’alto puis par la flûte avec d’infimes variations. Nous sommes immédiatement transportés dans une sorte de méditation qui nous rappelle les sonates de Debussy.
Ces trente minutes de musiques méditatives ont tenu le public en haleine avant l’arrivée de l’ONL.
Comédie et Poésie
À 18 heures, les musiciens de l’ONL font leur apparition et la cheffe Simone Young s’installe à sa direction. Ils entament ensemble leur programme avec Masques et Bergamasques, op. 112 de Gabriel Fauré. Cette suite a été inspirée par les personnages de la commedia dell’arte. Son titre est tiré d’un poème de Paul Verlaine intitulé Clair de Lune.
L’Ouverture commence de façon douce avec les cordes, puis s’ensuit un Menuet un peu plus mélancolique. La Gavotte apporte ensuite du mouvement et de la gaieté. Avec un tempo bien marqué, elle donne envie de danser. Enfin, la Pastorale, qui clôture cette suite, est le passage qui m’a le plus interpellée. J’ai été charmée par les harmonies subtiles et par la douceur des vents. Les moments solistes de la flûte traversière et de la clarinette étaient envoûtants.
Le sommeil a pris ton empreinte sublimé par Renaud Capuçon
C’est sur ce concerto de Camille Pépin que Renaud Capuçon fait son entrée. Il commence seul avec des doubles cordes. Nous avons l’impression que deux musiciens jouent en même temps, mais non, le violoniste est bien seul à jouer. Nous sommes immédiatement transportés dans cette œuvre qui n’est pas sans rappeler la musique pour cinéma. Elle est évocatrice et raconte une histoire, celle du poète Paul Éluard, choisi par Capuçon lui-même.
Le concerto s’articule autour de trois poèmes dont un qui reviendra trois fois :
Le sommeil a pris ton empreinte Et la colore de tes yeux.
Nous pouvons noter un travail sur la couleur avec un jeu de résonances par morphing (transitions progressives) des vents. Des instruments moins courants comme le célesta, les cloches tubulaires ou des gongs sont utilisés dans cette pièce pour accentuer les effets de résonance. La vibration est également importante. Elle se fait sentir par un déphasage de la harpe, du célesta et du vibraphone. Tous ces effets contribuent à l’atmosphère magique de la pièce.
Le sommeil a pris ton empreinte Et la colore de tes yeux.
Ce poème revient trois fois. Il prend à chaque fois une couleur différente en fonction de l’ambiance du poème qui le précède. Il est l’élément principal et c’est lui qui donne son nom au concerto. Lors de sa première exposition, le violon solo joue des trémolos (répétition rapide d’une même note) en harmoniques (son très aigu). Les vents lui répondent, puis le soliste et l’orchestre se fondent dans des arpèges vigoureux annonçant le drame à venir…
Lors de son deuxième passage, le thème est plus épuré. On note un creux entre les sons aigus et les sons graves. Le soliste reprend le thème avec les cors qui lui répondent en écho, comme un message d’espoir.
Enfin, le concerto se clôture avec une dernière exposition de ce thème, avec le violon qui joue des aigus demandant une parfaite maîtrise de Renaud Capuçon. Le son cristallin du violon procure de la douceur et le morceau se termine dans un silence apaisant.
Le temps déborde
Ce deuxième poème évoque la perte soudaine de la femme du poète. Le violon soliste se confronte au reste de l’orchestre, évoquant la confusion de Paul Éluard. Des tensions sont créées. L’orchestre joue de façon agitée avec des fortissimo (fort volume sonore).
Le Phénix
Tel le phénix, Paul Éluard renaît de ses cendres lorsqu’il rencontre Dominique. C’est ce qu’évoque ce quatrième mouvement. Le violon chante l’amour sur des nappes jouées par l’orchestre des cordes. Tous les éléments précédents sont rappelés dans un tutti (moment où tous les instruments jouent en même temps) orchestral festif. Le morceau se termine enfin dans une atmosphère vaporeuse rappelant le début du concerto.
Le public a été conquis par cette composition originale de Camille Pépin, qui nous a fait l’honneur de sa présence lors de cette représentation. Le casting original était réuni : Renaud Capuçon au violon et Simone Young à la direction. Cette œuvre de 2023 a été commandée par Radio France, l’Auditorium-Orchestre national de Lyon et le Sydney Symphony Orchestra. J’ai entendu ce chef-d’œuvre pour la première fois avec les spectateurs de l’Auditorium et ai été frappée par cette histoire musicale : une magnifique découverte !
Le romantisme à l’état pur
La deuxième partie du concert s’est articulée autour de la Symphonie n° 4, en fa mineur, op. 36 de Tchaïkovski. Dans cette symphonie, Tchaïkovski évoque le fatum (fatalité du destin). Il fait part de ses angoisses, de l’épée de Damoclès suspendue au-dessus de nos têtes. Il dédie cette symphonie à sa mécène Nadejda Von Meck, avec qui il correspond par lettre. La dédicace de la partition indique en effet : « À mon meilleur ami ». Cette dédicace est bien faite au masculin, le compositeur voulant probablement jouer sur l’ambigüité masculine-féminine du mot ami (droug) en russe.
Le premier mouvement, Andante sostenuto, commence lentement par les cuivres qui jouent en fanfare, représentant le fatum. Ce thème sombre sera récurrent dans cette symphonie.
Le deuxième mouvement, Andantino, est plus mélancolique, avec un thème au hautbois et aux violoncelles. La nostalgie nous envahit.
Dans le troisième mouvement, Scherzo, les cordes jouent en pizzicati (en pinçant les cordes, sans l’archet). Nous entrons dans une partie plus joyeuse rappelant la danse. Puis, les bois entrent, suivis des cuivres qui évoquent une marche militaire. Le mélange des genres est bien réalisé.
Enfin, le finale démarre énergiquement par un magnifique tutti orchestral à l’unisson. Puis le thème principal se fait réentendre et la pièce se conclut dans un fortissimo agressif, rappelant que le fatum est toujours là mais que la joie peut rester présente.
« Tu ne peux t’en prendre qu’à toi-même, alors ne dis pas que tout est triste en ce monde. Il existe des joies simples mais fortes. Réjouis-toi de la joie des autres ! On peut quand même vivre. » Tchaïkovski
Le public a été conquis par cette représentation. Simone Young a salué le public trois fois sous une pluie de « Bravo », et nous sommes repartis ravis.
Retour en images sur la représentation :
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