A l’occasion de la sortie du troisième album de Malemort, nous nous sommes entretenus avec le chanteur Xavier Napora. Celui-ci nous a parlé de ce « Château-Chimères » sorti le 08 octobre 2022.

Pozzo Live : C’est votre 3ème album en une dizaine d’années, mais 6 ans depuis le dernier. Est-ce que la crise sanitaire à joué un rôle dans ce laps de temps un peu plus long ? 

Xavier Napora : Je pourrais être hypocrite et te dire que oui, cela simplifierait les choses, mais pas du tout. C’est pas vraiment la crise en elle-même, ou alors sur les dernières encablures. Par rapport à la fabrication de l’objet, par rapport au fait d’allonger un peu les délais pour être sûr de proposer tout ce qu’on pouvait proposer sur le merchandising et autour.

L’album précédent, Ball-Trap, est sorti toute fin 2016, dans les tous derniers jours. C’est quasiment début 2017. En 2017 on a fait une année de concerts, plus l’année 2018 qui nous a emmenés au Hellfest. Ensuite on a fini par toute une série de dates en province. Pour la première fois on pouvait réussir à aller partout et faire des choses bien. Et cela nous a amené quasiment jusqu’à 2019 cette affaire-là. Donc finalement, en temps que groupe indépendant, c’est difficile à la fois de gérer la promotion d’un disque puis ensuite la partie live, le fait de faire des dates, donc la vie du groupe en soit et travailler en parallèle sur la construction d’un album. Je ne pouvais pas décemment rebosser sur un nouvel album avant d’avoir fini cette phase de live sur Ball-Trap. Cela nous a amené à 2019 et là je n’ai plus d’excuse (rires).

Et donc finalement la crise que l’on a connu cela correspondait, surtout pour moi et Seb’ [Sébastien Berne] avec qui je travaille toujours en interaction sur les morceaux, à la phase d’écriture. Donc je n’utiliserais pas cette excuse.

Pozzo Live : Et donc comment vous êtes-vous organisés pour composer ? Était-ce à distance ? Avez-vous réussi à vous voir ? Était-ce différent d’une période plus classique ? 

Xavier Napora : On a fonctionné de la même façon que sur l’album précédent. Comme j’ai, en quelque sorte, les clés de la recette de Malemort, étant donné que le premier album je l’ai créé avec d’autres musiciens. Ce qu’on fait avec Sébastien qui m’épaule beaucoup, je propose le morceau du départ, puis il va venir ajouter à la composition, faire des propositions, puis arranger. Et ça c’est peut-être pas sexy à dire comme ça, mais c’est très faisable dans des conditions de travail à distance. Cela nous permettait aussi de ne pas nous écharper, au passage. Parce-qu’effectivement je pouvais bosser tranquillement, imaginer ce que j’avais à imaginer et ensuite lui envoyer pour qu’il voit ce qu’il voulait en faire.

Ce n’est pas forcément ce qu’on a envie d’entendre sur la construction d’un album. Cependant cela permet un travail de composition fin.

Pozzo Live : Vous êtes un groupe de métal français. Et comme tout groupe de métal non-anglophone vient la décision de chanter ou non dans sa langue natale. Est-ce quelque chose que vous portez fièrement ?

Xavier Napora: J’avais fait du métal plus jeune, puis je m’étais intéressé au rock. Parce-que j’avais envie d’élargir mes horizons, de voir ce qu’il était possible. Et quand j’ai fait ce passage du métal au rock j’ai eu envie à ce moment-là de passer au français. J’ai chanté en anglais pour commencer, puis j’ai expérimenté le français sur des choses plus faciles pour chanter en français.

Et je suis revenu avec cette idée de recomposer du métal avec mon mélange, et de ce que j’avais envie de mélanger par rapport à mes goûts personnels. Je savais que j’allais mettre une bonne part de métal, un petit peu de heavy et du rock. Et là quand je suis revenu à ça je me suis dit que je ne me voyais plus chanter en anglais. J’aurais eu l’impression d’être hypocrite en rechantant en anglais. Je pensais que je trouverais des choses qui feraient en sorte que ça sonne bien par rapport à la musique que je proposais. Je savais que ce serait un vrai défi. Moi-même j’ai longtemps été réfractaire au chant français sur le métal. Mais c’était un défi personnel que je me fixais, j’aime trop cette langue.

Après il y a des groupes français qui chantent en anglais que je trouve formidables. Mais moi j’aurais écrit des textes qui auraient été finalement des lieux communs. Je n’ai pas de capacité poétique en anglais. Je maitrise la langue pour écrire un texte de métal à la con, mais je ne me voyais plus faire ça. Et donc c’est ce qui a guidé le choix du français.

Pozzo Live : Notre belle langue de Molière

Xavier Napora : Mais oui ! Il faut juste accepter que cette langue elle n’a pas été faite pour ce style-là au départ. Il faut accepter plein de sacrifices, qu’il y a plein de choses que tu ne peux pas faire avec cette langue-là et être hyper exigeant.

Pozzo Live : Qu’est-ce que vous écoutez et qui vous inspire ?

Xavier Napora : Je sais que les guitaristes de Malemort c’est des très gros fans de Prog’. Ils en bouffent beaucoup. Moi c’est moins mon truc. J’en écoute aussi, j’écoute tout ce qui peut m’inspirer et me donner des idées, un musicien doit fonctionner comme ça. Il m’est même arrivé d’avoir des déclics et de trouver des trucs vraiment sympas à me dire « Ah tiens ça c’est exploitable ! » dans des musiques que je déteste au départ.

Mais sinon j’ai vraiment le background métal au départ. La part trash, je suis un gros fan de Sepultura, j’aime beaucoup aussi la vague suédoise des années 90. Et en dehors de ça j’ai beaucoup écouté David Bowie, d’Iggy Pop. Pour les besoins parce-que ça se rapportait à l’histoire que je racontais mais aussi parce-que je suis fasciné par la façon de créer de David Bowie. Et parfois tout ne me touche pas chez lui, loin de là, il y a des albums qui me laissent froid, mais que je trouve ultra intelligents.
Sinon j’ai beaucoup aimé le dernier Opeth par exemple. C’est quand même assez divers.

Pozzo Live : Et qu’est-ce que vous chantez honteusement sous la douche ? (ou dans la voiture ou en faisant la cuisine ?)

Xavier Napora : Ce n’est pas honteux, mais du Joe Dassin. Je trouve qu’il y avait un respect du public dans le travail d’un gars comme ça. Les arrangements sont superbes et toujours ultra adaptés à la chanson. Et il y a une façon de se mettre face à son public et d’inventer des petits histoires, et de faire des choses construites et qui sont solides. Je trouve que la musique respectait son public, y compris quand elle était ultra populaire. A l’époque des grands arrangeurs travaillaient sur des titres destinés au petit peuple disons. Mais ça c’était une époque où il y avait de l’argent dans la musique et où on pouvait payer un parolier, un arrangeur, des vrais !

Donc c’est ce que je peux chantonner. Je suis aussi fan de Polnareff des années 70, pas de la carricature qu’il a pu devenir après. Où il y a une inventivité complètement délirante qui va carrément sur les terres des anglo-saxons. On a eu de la musique de qualité novatrice, comme Magma, bon je ne chanterais pas forcément ça sous la douche (rires). Mais c’est un peu le panel de trucs qui me touchent.

Pozzo Live : L’album Château-Chimères semble être un ensemble de concepts assez typiques, ne serait-ce que par les visuels. Le côté horrifique aux tons un peu Tim Burton/famille Adams et le côté un peu historique français. D’où cela vous est venu ? 

Xavier Napora : Déjà, je trouve qu’il y a un truc qu’on a toujours du mal à se dire en France, c’est qu’on a un patrimoine fabuleux. Quand je vois les pays nordiques et la façon dont l’état s’est emparé de la tradition, je trouve ça fou qu’en France on n’ait pas été capable de faire de même. Et d’avoir presque honte d’être français, de s’excuser, c’est idiot. Quand tu regardes la Norvège, la Finlande, ils ont réussi à bâtir tout un pan de l’histoire du métal en l’alliant à leur tradition. Il y a même des groupes qui chantent dans leur langue et qui n’ont aucun problème à jouer ailleurs en Europe.

Je suis très attaché à notre culture qui est fabuleuse et peut-être très accueillante. Par exemple sur l’album précédent, la bohème artistique dans les années 20 à Paris. C’est les derniers moments où le monde entier se donnait rendez-vous à Paris pour découvrir les avant-gardes artistiques. Un truc qu’on a un peu oublié nous, mais pourtant c’est bien ce qui s’est passé à l’époque. Et là le château d’Hérouville il est à 3km de chez moi en réalité, donc j’ai découvert son histoire comme ça. C’est quand même un endroit où les anglais et les américains sont venus enregistrer au fin fond de la campagne du Vexin, et pour certains ils y ont fabriqué leurs plus beaux albums.

Et cela a été le premier de ce que l’on appelle un studio résidence. Parce-que jusque dans les années 70 quand tu étais dans un groupe, comme les Beatles par exemple, tu avais le studio qui était en ville. Le studio appartenait souvent à ton label, donc c’est ton label qui prenait tes séances, et tu avais des ingénieurs du son en blouse blanche qui t’accueillaient de 8h30 à 18h30. Et ce cadre-là tout à coup avec 68 et l’arrivée des années 70 c’était plus possible. Cela ne correspondait pas du tout aux envies de révolution des groupes, de création, de liberté. Et en fait Magne [mdlr Michel Magne propriétaire de l’époque] par hasard il créé un studio résidentiel à ce moment-là. Et c’est ça qui a fait le succès de ce château. Et également le fait qu’il ait un côté un peu hanté. Il n’est pas si magnifique que ça, mais il a un côté un peu envoutant. Tous les gens qui ont enregistré là-bas en parle. J’ai pu le ressentir petitement quand j’ai eu la chance de le visiter. Voilà pourquoi cela m’intéressait tant.

C’est un pan de l’histoire, qui est aussi très lié au fantasme. On a raconté énormément de légendes sur ce château-là. Et tout le monde a enjolivé le truc. Il s’est passé des trucs complètement fou là-bas et en plus t’as tout le monde qu’est sous-substance là-bas donc tout à pris des proportions démentielles et ça a créé des légendes. C’est marrant parce-qu’à l’étranger quand tu parles du château d’Hérouville t’as vraiment des passionnés de l’histoire de ce château. Et même David Bowie, Iggy Pop ou Elton John par exemple sur leurs années françaises y avait toujours un truc sur le château. Donc personnellement ça a été un carburant à fantasmes et imaginations fabuleux. Cela remplissait toutes les conditions d’écriture.

Pozzo Live :  Un concert enregistré au Hellfest au 2018. C’est quoi la prochaine étape avec ce nouvel album ?

Xavier Napora : Ah bah on referait bien la même étape quand même (rires), on serait content déjà. J’aimerais beaucoup, mais encore une fois on mesure la chance qu’on a eu à ce moment-là, pour un groupe indépendant. C’était une grosse preuve de confiance de la part de Ben [Barbaud, le patron du Hellfest], je n’oublierai jamais ça. Mais je pense qu’on a rempli notre part du contrat aussi. Le live tenait bien la route, on a eu beaucoup de retours très positifs de la part des professionnels. Le disque [du live] ensuite sorti par Rock Hard prouve qu’on était capable de le faire. Et là je crois beaucoup au disque qu’on sort, qu’il est solide et apporte une dimension supplémentaire. Donc nous de notre côté on est prêt à relever ce défi. Comme le défi des festivals de printemps, d’été et d’automne, j’aimerais bien qu’on place tout ça pour une belle série.

J’aimerais beaucoup aussi qu’on puisse utiliser un peu l’univers visuel qu’on a créé avec le disque. Le problème après c’est l’argent, mais j’aimerais beaucoup. Je pense que ça apporte quelque chose à ce disque-là. Je raconte des choses réelles sur lesquelles on a beaucoup fantasmé, et le visuel rapporte ça presque à de l’onirique. C’est ce mélange-là qu’on essaye d’obtenir.

Pozzo Live :  Dernière question. Quel groupe ou artiste vous conseilleriez à Pozzo Live d’interviewer ensuite ?

Xavier Napora : Là en ce moment parce-que c’est des gens qui ont un parcours atypique je trouve et que c’est des gens que j’aime bien, mais vous avez peut-être déjà dû les faire, c’est Molybaron.
Et Magoyond. Ils ont un univers délirant, plutôt dans le thème des jeux. Ils ont un public énorme mais dans un spectre totalement différent. Ils font des Japan Expo des trucs comme ça.

Pozzo Live : Effectivement nous avons déjà interviewé Molybaron, conseillé par Bukowski d’ailleurs. Nous avons eu l’occasion d’interviewer Steven.

C’est un gars super chouette, on est vraiment sur la même longueur d’ondes sur beaucoup de choses. On représente le versant mélodique du métal français. Aux traits différents, eux chantent en anglais, ils ont un chanteur écossais, mais on est ce versant mélodique. Puissant, mais chanté.

Interview réalisée par Gaël à Paris le 09 septembre 2022

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