Dimanche 11 mai, j’ai eu la chance d’assister à une représentation de Peter Grimes, opéra composé par Benjamin Britten, à l’Opéra de Lyon. Ce chef-d’œuvre a été dirigé par Wayne Marshall et la mise en scène est signée Christof Loy.

Connaissez-vous l’histoire de Peter Grimes ?

© Agathe Poupeney / Opéra de Lyon / 07/05/2025 /

Peter Grimes est un marin vivant sur les côtes d’Aldeburgh, une petite ville du Suffolk, en Angleterre. Il est accusé par les habitants du village d’avoir assassiné ses apprentis. En effet, après la disparition soudaine du premier, voilà que le second serait accidentellement tombé du mât avant de s’écraser dans le vivier. L’institutrice Ellen Orford et le capitaine Balstrode prennent la défense de l’accusé, qui se voit acquitté mais avec une mise en garde : il lui sera dorénavant interdit de prendre un jeune garçon comme apprenti. Peter n’est pas d’accord et veut crier sa « vérité » aux autres citoyens, qui refusent de l’écouter. Il finit par prendre un troisième apprenti avec l’aide d’Ellen, qui accepte de faire partie du voyage.

Lors d’une tempête, les habitants du village se réfugient dans le bar d’Auntie. Lorsque l’ouragan atteint son apogée, Grimes fait irruption dans le bar et les habitants paniquent, ne voulant pas se retrouver avec le « diable ». Bob Boles, un adepte de l’église méthodiste, accuse le marin d’être un tueur de garçons. Tout le monde semble de son avis. Ellen, Hobson et John (le nouvel apprenti) arrivent alors, et Grimes rentre chez lui avec le garçon.

Quelques semaines plus tard, à l’église, Ellen tente d’obtenir des informations du jeune apprenti, qui décide de rester muet. Elle finit par découvrir un énorme bleu dans son cou. Peter Grimes les surprend et veut emmener le garçon à la pêche immédiatement. Ellen le confronte, et le marin violent essaie de la repousser. La foule prend de nouveau en grippe le pêcheur et décide d’aller inspecter sa cabane. Une fois la délégation sur place, Grimes s’enfuit avec son apprenti, laissant son domicile propre, sans la moindre trace. Cela suffit à calmer ses oppresseurs.

Quelques jours plus tard, Balstrode retrouve le pull trempé de l’apprenti sur la rive. Les villageois accusent Grimes d’avoir à nouveau tué un apprenti et veulent le retrouver. Le capitaine Balstrode conseille alors à Peter de prendre son bateau, d’aller au large et de se laisser couler. Le marin, sachant qu’il ne trouvera jamais de répit, s’exécute, et ainsi se termine cette histoire, laissant de nombreuses questions en suspens.

Peter Grimes est-il bon ou mauvais ? Bourreau ou victime ? Misanthrope ou rejeté ? La mise en scène de Christof Loy apporte de nouveaux points de vue intéressants.

Une mise en scène épurée

La mise en scène a été réalisée par Christof Loy, nommé « metteur en scène de l’année » aux Opera Awards de 2024.

« J’ai toujours été partisan d’une esthétique minimaliste, tout particulièrement dans ce cas, parce que notre approche doit être plus universelle. »

Christof Loy

Sur scène, rien de plus qu’un lit en 90 dans lequel Sean Panikkar (l’interprète de Peter Grimes) se fait réveiller. De plus en plus d’individus arrivent pour observer cet homme pris à la gorge dans sa propre couche. L’éclairage est réalisé uniquement à partir des lampes torches que tiennent les personnages, pointées sur Grimes.

Plus tard, dans l’acte III, ces mêmes lampes torches seront de nouveau utilisées lorsque les villageois chercheront Peter Grimes. Pointées sur le public cette fois, elles nous éblouissent et nous mettent dans la peau du personnage, ressentant une forme de persécution. Cela nous permettrait presque d’avoir de la compassion pour le marin violent.

© Agathe Poupeney / Opéra de Lyon / 07/05/2025 / 

Le lit n’est pas utilisé que par Grimes. Nous voyons ainsi Ellen s’y étendre lorsqu’elle a perdu espoir et qu’elle ne parvient pas à retenir Peter. C’est également elle qui ôtera les draps lorsque ce dernier aura sombré en mer. John, l’apprenti de Grimes, y fera également un court passage. Dans le tout dernier tableau, c’est Balstrode qui y sera allongé (mort ?), éclairé par les dernières lampes torches avant qu’elles s’éteignent pour annoncer la fin de l’opéra. Nous pouvons voir là un signe de familiarité : les personnages qui s’installent sur le lit sont les seuls à faire confiance au protagoniste.

Durant toute la pièce, le placement des personnages indique leur position vis-à-vis de Grimes. En effet, très souvent, seuls Balstrode et Ellen sont du même côté que Peter, détesté des autres membres du village.

Lors de la scène du bar, chaque personnage arrive avec sa propre chaise et s’installe comme s’il venait assister à un spectacle dont le sujet serait Peter Grimes, la cible préférée des villageois à la langue bien pendue. Ils apparaissent par vagues, en entrant par une trappe.

Enfin, lorsque Peter Grimes décide de se suicider, il disparaît par une porte noire sur fond noir qui s’entrouvre, laissant apparaître un magnifique rayon de lumière blanche, comme si c’était là que l’attendait le meilleur avenir possible.

© Agathe Poupeney / Opéra de Lyon / 07/05/2025 /

Les personnages

Une véritable question se pose quant à l’homosexualité du personnage principal. Cette interrogation est d’autant plus intéressante lorsque l’on connaît la relation que le compositeur, Benjamin Britten, entretenait avec le ténor pour lequel le rôle de Peter Grimes a été écrit, Peter Pears.

« Pour moi, Peter est homosexuel. Et c’est pour cela que les autres le regardent avec suspicion. »

Christof Loy

Non seulement le metteur en scène nous laisse entrevoir la possibilité que Peter est homosexuel, mais aussi celle que John (l’apprenti) et Balstrode, le sont également. En effet, dans une scène, nous voyons ces deux personnages entretenir une relation intime. Ils sont surpris par Peter, qui semble en être affecté. Il enlacera lui aussi le jeune garçon, de manière charnelle, peu de temps avant sa mort.

John est un rôle muet (le personnage ne parle pas, ne chante pas). Cela renforce la complexité de sa relation avec Grimes, qui semble rude et violent envers lui. Le rôle est tenu par un danseur, Yannick Bosc.

Le personnage de Balstrode, incarné par Andrew Foster-Williams, est très intéressant dans cette version. Il est souvent placé comme un spectateur des événements, toujours présent en arrière-plan pour contempler la scène, les mains dans les poches. Semblant réfléchir, il lui arrive assez souvent de prendre le parti de Peter dont il paraît proche et attaché. Dans le dernier acte, nous le voyons porter le pull de l’apprenti décédé. A-t-il de l’affection pour ce garçon disparu ou souhaite-t-il obtenir la même attention de Peter ? Quoi qu’il en soit, il se laisse mourir (de chagrin ?) dans le lit de son ami englouti.

Ellen Orford, l’institutrice, interprétée par Sinéad Campbell-Wallace semble amoureuse de Peter Grimes. Elle envisage un avenir avec lui mais semble anéantie lorsqu’elle découvre les marques sur le cou de son apprenti. Le doute s’immisce et tout espoir semble dorénavant perdu.

La tante Auntie et ses deux nièces apportent un point de vue féminin. Elles permettent de soulever la problématique liée à la difficulté de la place des femmes dans la société. Les nièces sont obligées de rester collées l’une à l’autre pour repousser les avances d’hommes trop entreprenants.

Enfin Bob Boles, Mrs Sedley, Swallow ou encore le révérend Adams sont des personnages qui se placent contre Peter Grimes en rependant des commérages. Défenseurs du bien, ils semblent pourtant commettre eux aussi de nombreux péchés (Harcèlement sexuel envers les femmes, dépendance aux médicaments, accusions infondées, intrusion dans le domicile d’autrui, etc). Cela en vient à faire douter le spectateur de leur légitimité et renforce les ambiguïtés quant au personnage principal.

Le chœur et l’orchestre

Au début de l’acte II, dans l’église, un chant religieux résonne soutenu par les profondeurs solennelles de l’orgue et le tintement des cloches, renforçant l’atmosphère sacrée de la scène.

Un peu plus tard, Hobson, quant à lui, joue du tambour sur scène. Cela donne une cadence solennelle à la marche du village vers la cabane du pêcheur. Le chœur s’éloigne et continue à chanter en coulisses nous donnant la sensation d’avancer.

Plus tard, dans l’acte III, la foule s’élève en un appel presque liturgique, invoquant le nom de Grimes comme s’il appartenait déjà à un autre monde, un fantôme rejeté par les vivants.

Les sonorités anglaises imprègnent l’œuvre, notamment dans les parties de chœur. Pour calmer la foule, Auntie et Balstrode font chanter un chant de marin aux clients du bar. Le refrain est repris de façon contrapuntique.

Les cordes dessinent quant à elles des lignes mélodiques aux aigus suspendus, presque plaintifs. Le figuralisme, lui, évoque sans cesse la mer : les cordes oscillent et se balancent comme les vagues, traduisant tantôt la douceur de la mer apaisée, tantôt la fureur d’une tempête qui engloutit tout sur son passage.

Britten, profondément attaché à sa région natale, insuffle à cette œuvre tout son amour pour la mer et l’Angleterre. Il dit avoir choisi les poèmes de Georges Crabbe car ils luis donnent une nostalgie de Suffolk. Cependant, il ne traite pas de Peter Grimes de la même façon. Il travaille avec le librettiste,  Slater qui ira même jusqu’à dire :

« Crabbe n’aimait pas Peter Grimes »

Montagu Slater

Qu’en est-il de Britten ?

Nous pouvons tisser un lien entre Peter Grimes et l’océan insaisissable capable du plus beau comme des plus terribles colères. Ils sont tous les deux libres à leur manière.

© Agathe Poupeney / Opéra de Lyon / 06/05/2025 /

Les chefs, Wayne Marshall à l’orchestre et Benedict Kearns au chœur, ont dirigé les artistes avec une maîtrise remarquable, sublimant les intentions musicales du compositeur.

Pour conclure

J’ai passé un agréable moment avec cet opéra, qui a éveillé en moi de nombreuses questions. Est ce que les commérages au sujet de Peter Grimes disaient vrai ? Et dans ce cas, pourquoi personne n’a agit avant qu’un autre drame ne survienne ? J’ai plutôt envie de prendre la défense de Peter Grimes et de croire en son innocence. Après tout, peut-être que le but de cette version, mise en scène par Christof Loy, est de nous encourager à nous battre pour ce qui nous semble juste, pour la liberté et le respect des différences.

Si cela vous intrigue, vous pouvez encore assister à une représentation jusqu’au 21 mai et vous faire votre propre avis.

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