Icône du punk hardcore suédois, Refused a marqué plusieurs générations en mêlant fureur sonore, messages engagés et énergie scénique explosive. Après plus de trente ans d’une carrière aussi intense qu’influente, le groupe tire sa révérence avec une tournée d’adieu qui passera par la France. Avant ces ultimes rendez-vous le 08 octobre à l’Elysée Montmartre et le 09 octobre à l’Aéronef de Lille, nous avons échangé avec Dennis Lyxzén, sur ce dernier chapitre, sur l’héritage du groupe et sur l’émotion d’un adieu.
Pozzo Live : Refused est entré dans l’histoire avec The Shape of Punk to Come. Avec le recul, pensez-vous avoir été en avance sur votre temps ou que le public vous a simplement rattrapé sur la route?
Dennis : Je ne sais pas trop, c’est bizarre de dire de soi-même qu’on est en avance sur notre temps *rire*. Ca semble présomptueux. Je pense que les gens ont mis un peu de temps à attraper le projet, et quand ils l’ont fait, ils ont aimé nos enregistrements. Peut-être que nous étions un peu en avance sur notre temps, mais je ne me sens pas légitime de dire ça.
Pozzo Live : Refused a toujours été autant un projet politique qu’artistique. Qu’est-ce qui vous rend le plus fier, la musique en elle-même ou le message qu’elle véhicule ?
Dennis : Je suis particulièrement obsédé par la musique en elle-même. Quand on parle, c’est plus de la musique en elle-même. Mais la musique est tellement connectée à la politique, que c’est presque une seconde nature disons. Quand on écrit ou qu’on parle sur scène, on sait toujours que ce sera politique, parce que c’est une partie de qui nous sommes, en tant qu’êtres humains. Mais oui, sans la politique, nous ne serions pas le groupe que nous sommes.
Pozzo Live : Vous avez annoncé que 2025 serait la dernière tournée de Refused. Qu’est-ce qui vous a poussé à prendre cette décision ?
Dennis : David notre batteur ne veut plus continuer le groupe. On pourrait parler de ça pendant longtemps car il y a de multiples raisons… Nous avons commencé le groupe ensemble en 1991, ça a toujours été lui et moi, on était le cœur fondateur du groupe. Il y avait toujours cette idée que, si l’un d’entre nous sentait qu’il fallait arrêter on l’écouterai. Il sentait que la créativité de Refused était entravée.
On fait des chansons, et elles sont cools, mais ça n’est plus Refused, elles ne nous ressemblent plus. On ne voulait pas que notre public soit déçu. Et aussi, David ne veut pas que son art soit défini par l’économie. Nous avons donc décidé que, si nous devons nous séparer, nous serions obligés de faire une grosse tournée d’adieu, pour dire au revoir d’une manière cool, et qu’on célèbre ça avec notre public.
Pozzo Live : Comment te sens-tu vis-à-vis de ça ?
Dennis : Je suis sûr que la vie est faite de circonstances. Je pense que dans d’autres circonstances, nous aurions peut-être pu continuer. Mais je suis ok avec cette décision. Et cette tournée me fait du bien… Je ne me sens pas encore nostalgique, car nous sommes encore en milieu de tournée. Il y a beaucoup de vie et de pouvoir dans ce que nous faisons en live. Mais je suis sur qu’en décembre, nous ressentirons les choses différemment. Je préfère vivre au jour le jour, nous verrons en décembre ! Nous vivons juste des moments incroyables, tout est fantastique, on se sent bien sur scène.
Pozzo Live : Penses-tu déjà à ce qui viendra après Refused ? Devons-nous nous attendre à plus de musique de la part d’INVSN, ou peut-être à de nouvelles collaborations ?
Dennis : Oui j’y pense tout le temps. C’est vrai que je suis un homme occupé, j’ai 4 autres groupes à côté, qui sont tous actifs. Il y aura beaucoup de choses l’année prochaine ! Ce qui est le plus excitant, c’est que quand nous avons commencé à jouer et à pratiquer avec Refused, c’était fantastique. Mais Chris a quitté la bande pendant la pandémie. On ne savait pas comment on se sentirait sans lui… C’était tout de même fantastique, nous avons continué à jouer mais sous un nom différent, avec différentes idées.
C’est ce que nous voulons également faire dans le futur, continuer à jouer, avec les mêmes personnes mais faire quelque chose de différent. Ca fera partie des nouveaux projets que je trouve intéressant, car on a une façon de jouer et d’intéragir de différente. Nous avons décidé d’explorer ça d’une façon différente, comme quelque chose de nouveau. Et puis nous avons dit : « explorons cela un peu plus. Mais pas en tant que Refused. Faisons-le comme quelque chose de nouveau. Sans bagage. Essayons et voyons ce qui se passe ».
Pozzo Live : Quand tu imagines le tout dernier concert de Refused, comment espéres-tu qu’il se déroule ?
Dennis : Je ne sais pas, j’aimerais que ce soit comme une célébration ! Je pense que c’est ce dont il s’agit. Que ce soit une célébration amusante ! Je suis sûr que ça sera assez triste aussi, on verra en moment venu. Quand on jouera pour la dernière fois en Suède, on aura des guests, on jouera avec d’anciens amis. Ca sera un pur plaisir, j’en suis sûr.
Pozzo Live : Tu as participé à de nombreux autres projets (The (International) Noise Conspiracy, INVSN, AC4…). Qu’est-ce que ces projets vous ont permis d’exprimer que Refused ne pouvait pas ?
Pozzo Live : Vous avez récemment déclaré que Refused allait collecter des fonds pour des causes pro-palestiniennes pendant cette tournée d’adieu. Vous avez également évoqué le dilemme que représente le fait de jouer dans des festivals où les organisateurs ne sont parfois pas très clairs… Comment trouvez-vous l’équilibre entre rester fidèle à vos valeurs et continuer à utiliser la scène comme une « tribune » ?
Dennis : C’est clair que c’est un des aspects les plus compliqués en faisant partie d’un groupe de musique qui a des convictions politiques. Je pense qu’on trouve l’équilibre en en parlant constamment, en en étant conscient. Il y a beaucoup de capitalistes qui sont des partenaires de festivals… Nous prenons la parole la-dessus pour que ce soit entendu. Parfois, je pense que nous prenons de mauvaises décisions, et parfois des bonnes. Mais malheureusement, dans le monde dans lequel nous vivons, le capitalisme est partout. Il n’y a pas de façon d’y échapper. Il faut naviguer, manoeuvrer, et parfois il faut se compromettre…
Etre capable d’aller sur scène et parler des ces problèmes est important. Mais, parfois c’est un compromis d’aller sur scène pour évoquer ce genre de problème. C’est d’ailleurs super frustrant. On a parfois beaucoup parlé, le groupe et notre équipe, avant de participer à certains festivals. Pendant des semaines, pendant des jours, on parlait de politiciens, d’activistes, de groupes, et d’autres choses… Et ça, c’est manoeuvrer et naviguer. Même si nous préférions que ce temps là soit utilisé pour être créatif. Mais c’est ça d’être un groupe qui a des idées politiques !
Pozzo Live : Certains groupes veulent justement séparer la politique de la musique, ce qui parfois est frustrant pour l’auditeur, peut-être que c’est pour ça qu’on aime le punk…
Dennis : Oui, car nous savons que ce dont nous parlons, ce sont des choses réelles. Je peux comprendre que certains soient intéressés que par la musique, ils n’ont pas un grand regard sur le monde, ils ne s’intéressent pas vraiment à la politique… Mais les gars de Refused et moi, on a grandi dans le punk et le hardcore des années 80/90. La musique était politique. Le langage du punk et du hardcore a toujours été politique.
J’aimerais bien ne pas avoir à parler politique dans mes musiques de temps en temps, mais étant donné le monde dans lequel nous vivons, il n’y a pas d’autres options. On doit parler de ces choses et apporter la lumière dessus. Parfois bien sûr c’est frustrant, car on aimerait juste jouer de la musique entre potes… Mais nous nous battons pour nos idées, car nous réalisons que c’est un privilège que nous avons. Je ne m’attends pas à ce que tout le monde fasse ça, mais j’ai voulu que tout le monde en ait conscience.
Pozzo Live : Tu es connu pour ton intensité sur scène. Après toutes ces années, qu’est-ce qui te pousse encore à te produire avec autant d’énergie ?
Dennis : C’est tout ce que je sais faire ! *rire* Mais oui avec Refused il y a beaucoup cette intensité, on peut parler de performance. Une part d’intensité, d’agression, de violence, ça fait partie de notre musique.
Certains soirs je me sens fatigué, et parfois mon corps se sent faible, je me dis que je ne vais pas pouvoir jouer… Puis la musique commence, tu prends le micro, tu y vas, la musique vient à toi, et tout d’un coup tu es dans le public. Et tu sais, c’est juste une partie de ce que la musique te fait faire.
Pozzo Live : En 2024, tu as fait un arrêt cardiaque après un concert. Cela a-t-il changé ton rapport à la scène ou ta vision de la vie et de la musique en général ?
Dennis : Effectivement, on a joué à un show privé, je suis allé ensuite à l’hôtel et j’ai fait un arrêt cardiaque quelques heures après le live. Ca te change. Au début, je ne voulais pas que ça me change. Je me disais que ce n’était pas un problème. Mais je suis passé tellement proche de la mort… Oui ça change la vision des choses.
Quand quelque chose comme ça se passe, ça change ta mentalité même si tu ne le veux pas. Je n’avais jamais été effrayé avant, mais quand ton corps te lâche et se rebelle contre toi, tu as cette sensation de peur. Ca m’a pris longtemps avant de ne plus avoir peur de mon corps, ce qui est très étrange. Mais, la grande chose qui s’est produite, c’est que ça m’a aidé à me rendre encore plus compte que j’aime la vie, et que je veux en faire autant que possible.
Je veux jouer encore plus de musique, je veux faire plus de choses et créer encore et encore. Je veux voyager plus, rencontrer plus de gens que je ne l’ai jamais fait. C’était tellement inattendu, et ça aurait pu se passer à n’importe quel moment… C’est bizarre, mais ça m’a donné plus d’appétit pour la vie. Pour être honnête, je me suis dit que je ne pouvais pas tout faire, car je suis le genre de gars à faire tout tout le temps, à être sur stimulé.
J’ai directement pensé que je voulais faire plus encore. Mais j’ai besoin d’être plus intelligent et de prendre plus de temps aussi. Je suis reconnaissant d’être en vie, c’est une seconde chance bien sûr car on n’a pas le contrôle sur ce genre de chose. J’ai eu cette chance et je ne veux pas la perdre, je veux être une personne active.
Pozzo Live : Refused a toujours véhiculé un message sérieux et radical, mais si je te demandais quel est ton souvenir le plus inattendu avec le groupe, quelle serait la première chose qui te viendrait à l’esprit ?
Dennis : Ah je ne sais pas ! Nous avons fait tellement de choses ensemble, donc c’est difficile. La première chose qui me vient en tête, c’est que nous étions en tournée en 1998, nous allions en Irlande en bateau. Il y avait un type déguisé en animal, avec une grosse tête, qui traînait avec les enfants. Chris et quelqu’un d’autre l’ont plaqué au sol. Il s’est vraiment mis en colère. Quand on parle de Refused, on parle toujours de politique et du fait que la musique est très agressive. Mais on s’est toujours bien amusés. C’est ça le truc.
Bon, en 1998, quand on s’est séparés, ce n’était pas très drôle. Mais on s’est toujours amusés ensemble. Et on a toujours vraiment aimé faire les idiots. Ca ne transparaît pas vraiment dans la musique. Parce que la musique est très sérieuse et nous sommes des gens très sérieux. Mais la plupart du temps, nous sommes plutôt loufoques.
Nous restons simples en coulisses à discuter comme Judas Priest, nous sommes simplement des personnes qui aiment s’amuser. Cela ne se voit pas vraiment. C’est donc mon premier souvenir. Je me dis : « Oh oui, je me souviens qu’on a plaqué ce type au sol. » Et il était vraiment énervé. Et je me dis que c’est juste drôle.
Pozzo Live : Quel groupe nous conseillerais-tu d’interviewer après toi ?
Dennis : Avez-vous déjà interviewé High Vis, le groupe britannique ? Ils sont fantastiques.
Si vous les interviewez, ils ont une histoire intéressante à raconter. Et c’est l’un de mes groupes préférés en ce moment. Ils sont fantastiques.
Pozzo Live : Quelle a été ta dernière découverte musicale ?
Dennis : Tu vois, j’achète des disques tous les jours. La dernière chanson qui m’a vraiment enthousiasmé était celle d’un groupe australien appelé Beast of Bourbon. C’est une chanson intitulée Psycho qui est la dernière chanson qui m’a donné envie d’envoyer un SMS à mon amie Sarah pour lui dire : « Tu dois écouter cette chanson. » et c’était il y a deux jours. Donc peut-être Beast of Bourbon avec la chanson Psycho. C’est ma dernière découverte qui m’a fait dire : « Oh, c’est une chanson cool. » J’adore le rock australien en général. Depuis les années 80 jusqu’à aujourd’hui, l’Australie a toujours eu une musique rock fantastique. Beast of Bourbon, je pense que c’est le début des années 80. C’est très cool.
Pozzo Live : Nous te remercions pour cette interview, ce fut un plaisir de pouvoir échanger avec toi.
Dennis : Merci à toi, et puis, nous reparlerons une autre fois, quand j’aurai sorti d’autres projets.


























