Aujourd’hui c’est Julien, guitariste de Trank, qui nous reçoit au Black Dog à Paris pour nous parler de son premier album, The Ropes. Trank, c’est un groupe de metal alternatif, au son accrocheur, qui nous promet de nous faire “sauter en l’air ET réfléchir en même temps”. Le combo est emmené par Michel au chant, Julien Boucq à la guitare, Johann Evanno à la batterie et David Spatola à la basse. Après une série de singles égrenés depuis 2016, et des premières parties au côté de grands noms comme Deep Purple, Anthrax, Papa Roach et Disturbed en Europe de l’Est, il était temps pour le combo de s’émanciper et de présenter un album en bonne et due forme. Une copie de 12 titres, qui rappelle les sonorités du rock des années 90, mais avec une approche résolument moderne qui m’a plutôt emballé ! J’avais donc hâte de voir ce que le groupe allait nous en dire.

Pozzo Live : Est-ce que tu peux nous résumer l’histoire du groupe ?

Julien : J’étais assez branché composition depuis longtemps, mais je faisais plutôt ça dans mon coin. J’avais fait partie de plusieurs groupes, mais je voulais passer à l’étape supérieure. Alors je l’ai jouée à l’ancienne en passant par les petites annonces, et j’ai rencontré Michel qui lui, justement, avait un groupe de reprises et souhaitait partir sur des compositions. On a commencé avec une première formation, et graduellement on a musclé notre jeu en étant plus sélectifs. Michel avait déjà bossé avec Johan, et on l’a contacté à un moment où lui aussi cherchait un projet plus sérieux. On a commencé avec un premier bassiste, Max, mais il n’a pas pu continuer avec nous à cause de son emploi du temps professionnel. On a mis un peu de temps à trouver David, mais le courant est tout de suite passé avec lui. Au premier essai, on savait que ça matchait complètement. C’est joli parce que ça s’est construit pièce par pièce, mais on a réussi à avoir une formation vraiment solide et complémentaire.

Pozzo Live : Pourquoi avoir enregistré l’album à Genève ?

Julien : On habite tous autour de Genève, donc c’est un peu notre point de rassemblement naturel. Et puis surtout on voulait travailler avec David Weber, au Studio des Forces Motrices. Par contre l’album a été mixé à New York par Brian Robbins (qui a aussi mixé Bring Me The Horizon et Asking Alexandria) et masterisé par Andy Van Dette (Porcupine Tree). On a vraiment essayé de se faire accompagner par des grands noms du milieu, pour nous aider à affiner notre son et sortir ce qu’on pouvait de mieux.

Pozzo Live : C’est assez exceptionnel pour un groupe encore jeune. Est-ce que le fait d’avoir accompagné des grands noms vous a ouvert des portes ?

Julien : Finalement, c’est avec les compositions qu’on y est arrivés. On a présenté des maquettes, le concept de l’album, et ils ont vu qu’on avait quelque chose de sérieux. On ne venait pas de nulle part non plus car on avait déjà des singles qui avaient été remarqués. C’est assez cool notre histoire, car c’est une série de briques qui s’empilent au bon moment !

Pozzo Live : Raconte-nous comment vous vous faites repérer par le management de ces gros groupes ?

Julien : Tout ça était travaillé ! (rires) Sérieusement, on a réfléchi à notre stratégie, et on s’est dits que pour discuter avec ces gens, il nous fallait des singles avec des clips sérieux. Aujourd’hui, il faut être vu plus qu’entendu, un bon clip c’est une excellente carte de visite. On a donc préparé 3 singles, et on y est allés au culot. On est passés par des promoteurs en Europe de l’Est, en utilisant les premières parties libres sur des dates. Nos clips ont plu aux promoteurs, qui ont fait suivre au management… et voilà comment on s’est retrouvés à faire des dates avec ces groupes énormes. On s’est dits que de toute façon on n’avait rien à perdre, et que si le son ne leur plaisait pas, on retravaillerait jusqu’à ce que ça passe !

Pozzo Live : Quand en 2018 Deep Purple vous adoube en disant que leur musique sonnerait comme vous s’ils avaient commencé au XXIème siècle, comment réagissez-vous ?

Julien : C’est une histoire incroyable, car on l’a appris un peu par hasard. C’était en Lettonie, le matin avant qu’on joue à la Riga Arena. On tombe sur un article en lettonien, après un coup de Google Traduction on voit ça et au début on n’y croit pas. Que Deep Purple nous ait écoutés, déjà c’était énorme, mais qu’ils en aient parlé entre eux et aient sorti ça dans un communiqué, alors qu’ils n’avaient aucune obligation, c’était fou. Ça nous a remontés à bloc pour le concert – on devait être un peu inconscients car ça ne nous a pas mis de pression !

Pozzo Live : Vous avez assez vite joué sur de grosses scènes. Est-ce que ça vous a renforcés en tant que groupe ?

Julien : On avait tous déjà de la bouteille avec nos groupes d’avant, mais on n’avait pas l’habitude de scènes aussi gigantesques. Passer de 300 personnes à 15000, c’est une toute autre forme de concentration ! Ça t’oblige à jouer très propre, et tu apprends très vite à meubler la scène. L’expérience de David nous a aidés là-dessus. Et puis, passé le stress des premières fois, c’est un tel pied de jouer devant autant de monde et de les voir réagir !

Pozzo Live : Êtes-vous plutôt un groupe de live ou de studio ?

Julien : A la base on est plutôt un groupe de studio. D’ailleurs pour tenir une grosse première partie, il te faut un set solide. On passe pas mal de temps ensemble à réfléchir aux morceaux qu’on fait. Au-delà de comment nous les ressentons, comment le public en face va-t-il le ressentir est-ce que l’énergie du morceau arrive à fluctuer et à déclencher une réponse ?

Pozzo Live : La réponse du public vous a-t-elle surpris ?

Julien : Au début on était nerveux, car en première partie les gens ne sont pas là pour te voir, tu es plutôt l’emmerdeur par qui il faut passer. Si tu fais bien ton job, après la première chanson où les gens ne bougent pas, ils se lâchent progressivement et commencent à entrer dans ta musique et à se secouer. C’est ce que je retiens de ces grosses scènes d’ailleurs, on sentait que ça prenait progressivement. Par exemple quand on a ouvert pour Disturbed à Bucarest, le concert était en plein air. Tu voyais tout le monde jusqu’au bout des arènes, et de les voir bouger avec nous sur la fin du set, c’était une belle récompense pour tout notre travail.

Pozzo Live : Passer pro, c’est le projet ?

Julien : C’est l’envie oui. Mais d’une situation déjà pas facile, on est passés à une situation franchement difficile avec la Covid-19 qui nous oblige à être patients sur nos plans. On reste sur le côté passion et auto-produit, mais on est ouverts aux labels bien sûr !

trank the ropes

Trank – (c) Gabi Hirit

Pozzo Live : Parlons de The Ropes. Le son est très varié, on entend des influences à la U2 ou Leprous sur Forever and a Day, du Placebo sur Troubled Times, Alice in Chains sur The Ropes… Quel est l’élément unificateur ?

Julien : L’élément central de nos compositions, c’est la place de la mélodie. En effet on a beaucoup d’influences. Généralement Michel, David ou moi arrivons avec une colonne vertébrale sur un morceau, et tous ensemble nous travaillons à lui donner corps. On reste orientés sur l’idée que la mélodie doit être présente, et si possible rester dans la tête. Après, ces sonorités variées sont le reflet de nos influences, et c’est tant mieux ! On essaie aussi de penser nos morceaux pour que le public puisse rentrer dedans, pas que pour qu’il nous plaise à nous. On réfléchit aux moments d’interaction avec le public, aux moments qui peuvent les faire bouger. Tu pourrais dire que nous sommes un groupe de studio qui pense sa musique pour le live ! D’ailleurs, notre son a évolué avec le temps, en voyant comment il rendait aussi dans ces grands espaces et en essayant de recréer cette expérience sur CD.

Pozzo Live : La production de votre son est vraiment léchée, que ce soit sur les arrangements, la présence de samples discrets ou l’équilibrage des instruments. Comment travaillez-vous l’ingénierie de votre son ?

David : En phase de préproduction, on essaie d’enregistrer le plus propre possible dans nos home-studios respectifs. Généralement Michel fait le premier mix chez lui, et on écoute tous ensemble loin de nos instruments. Et après, on commence à sculpter le son, en rajoutant de la puissance par ici, un sample ou un effet par là. Michel s’occupe de toutes la programmation, il passe par des synthés – il t’en parlerait beaucoup mieux que moi.

Pozzo Live : Quel matériel utilises-tu ?

Julien : Je joue sur des guitares Manson, qui est le luthier anglais de Matt Bellamy, le frontman de Muse (dont je suis un grand fan). Ils ont des guitares qui viennent de l’espace, d’ailleurs je ne sais pas si tu as vu dans le clip de In Troubled Times, j’ai une guitare avec un pad coloré. Ce pad coloré est tactile et entièrement programmable, c’est un contrôleur midi. En fonction de comment tu le touches, ça module un son auquel tu es branché (dans mon cas un K-oscillator de chez Korg). Ca me permet en plein solo d’envoyer des sons en plus et de les moduler, je m’éclate avec ça !

Pozzo Live : Comment t’es venue l’idée ?

Julien : Matt Bellamy utilise ça dans un live (rires). Mais on n’en a pas la même utilisation. Il s’en sert pour faire des sortes de petits bruits. Moi j’essaie de pousser la logique plus loin, par exemple sur In Troubled Times je fais une sorte de scratching. Je teste en ce moment pas mal de combinaisons de pédales différentes pour voir jusqu’où j’arrive à pousser l’idée. En le branchant à une pédale wahmy, j’arrive à varier le pitch de mon son de manière beaucoup plus précise qu’au pied (sans compter que je peux le faire en devant de scène !). Ça en devient presque un nouvel instrument ! En plus de ça, tu peux utiliser des effets intégrés comme un phaser ou un sustainer. Il fait vibrer la guitare et te permet de faire tenir la note indéfiniment, c’est rigolo. Mais au-delà de l’aspect gadget, j’essaie de toujours utiliser ces effets au service de la mélodie.

Pozzo Live : Michel, on peut parler un peu de tes textes ? Tu veux faire réfléchir ?

Michel : C’est à dire que si on peut éviter « I love you baby, baby I love you » c’est mieux non ?

Pozzo Live : Tu manipules des thématiques très Orwelliennes, en parlant du danger de n’échapper à une tyrannie que pour se jeter dans une autre. Quels sont tes canons de pensée ?

Michel : C’est la thématique centrale de la chanson The Ropes en effet. Et je me retrouve complètement dans Orwell, comme dans tous ceux qui se sont penchés sur les mécaniques du totalitarisme. Je relis Le zero et l’infini d’Arthur Koestler, qui est un roman fabuleux inspiré des purges staliniennes et est raconté du point de vue d’un apparatchik tombé en disgrâce. Le thème central de l’album est plutôt une histoire de liens entre les gens, qu’ils soient bénéfiques, destructeurs, imposés, choisis… Au bout de 5 ou 6 chansons, on s’est rendus comptes que ce thème était assez présent. Et notamment dans The Ropes, qui parle d’ambiguïté et d’agenda caché, comme tous ces coachs modernes qui sous prétexte de te libérer de tes chaînes, visent en fait à te créer un lien de dépendance à eux et de se faire du cash au passage.

Pozzo Live : C’est une thématique dans laquelle vous vous retrouvez ? Ou ce sont tes mots sur lesquels vous posez une musique ?

Michel : C’est l’inverse. Les textes sont au service de la musique. Généralement Julien ou David amène une compo, Johan et moi structurons le tout, et après qu’on l’aie un peu nourrie tous ensemble, on laisse reposer, et je pose les textes. J’ai toujours un carnet sur moi dans lequel je note des bouts de textes. J’y cherche la phrase qui colle à la chanson, et après comme un archéologue je dépoussière autour pour révéler le texte qui servira la chanson. J’aime bien aussi les textes à plusieurs niveaux, alors j’essaie toujours de construire un texte avec une idée centrale, qui magnifie la mélodie centrale de la chanson.

trank the ropes

Trank – (c) Emilie Deville

Pozzo Live : Êtes-vous un groupe à texte ?

Michel : Pas vraiment. Mais on prend tous les aspects de la production musicale et de l’arrangement au sérieux, on veut que chaque album puisse être ré-écouté dans 10 ans et qu’on en soit encore fiers, de la fierté de l’artisan qui a travaillé sur son œuvre. Ça n’exclue pas la spontanéité, car l’idée est spontanée quand elle apparaît, mais ensuite on prend beaucoup de temps pour la réaliser de la meilleure manière possible. Le texte en fait partie, mais on n’est pas un groupe à texte, dans le sens où le texte n’est jamais le point d’entrée d’une chanson.

Pozzo Live : Pourriez-vous devenir engagés? Faire réfléchir, c’est s’engager ou donner du sens ?

Michel : Je ne crois pas qu’un texte de chanson puisse changer le monde, en tout cas plus aujourd’hui. Des Bob Dylan ou des Woodie Guthrie ont pu faire ça à leur époque, mais ça ne fonctionne plus tellement de cette façon là. Je pense qu’on fait d’abord vivre aux gens une émotion, et le texte doit y participer par son sens ou sa sonorité. Après, tu crées toujours de la musique en te disant que quelqu’un dans le monde fera attention au détail que personne n’a vu – et le texte est un peu ça. J’aime bien l’idée que ce que raconte le texte en substance soit en cohérence avec la musique et en renforce l’émotion en lui donnant du sens. Mes auteurs favoris sont Lehonard Cohen ou Nick Cave, ou Martin Gore de Depeche Mode. Ce sont tous des gens qui sont capables d’écrire des lignes très simple avec un pouvoir d’évocation phénoménal. A mon petit niveau, j’essaie de le faire. Et Julien avec ses lignes de guitare !

Pozzo Live : Notre interview touche à sa fin. Quel groupe nous recommanderiez-vous d’interviewer après vous ?

Michel : 2 noms me viennent à l’esprit. Bears Tower, un groupe proche de l’alt folk qui écrit des chansons avec un pouvoir émotionnel incroyable. Et  Mokroïé, un groupe d’electro-indus qui fait une musique d’une puissance sonore incroyable. Ils ont fait un remix d’une de nos chansons qui devrait paraître bientôt, et ils m’ont invité sur une reprise de Sisters of Mercy. C’est très intéressant comme groupe, car ils arrivent à mettre une dynamique rock dans de l’electro.

Merci à Replica Promotion pour l’organisation de cette rencontre ! The Ropes est sorti le 15 septembre et est également disponible à l’écoute sur Spotify. Vous pouvez suivre le groupe sur son site ou sa page Facebook.

Pour ne rien rater de l’actualité musicale, n’hésitez pas à suivre nos chroniques et nos interviews !

Vous allez aimer !