Samedi 14 juin, la première représentation de Cosi fan tutte a eu lieu à l’Opéra de Lyon. Duncan Ward et Marie-Eve Signeyrole revisitent ce classique de Mozart avec une interprétation originale !

Une expérience immersive

Pour la première fois, l’Opéra de Lyon a invité de jeunes couples âgés de 20 à 32 ans à participer au spectacle en tant qu’acteurs sur scène. Vingt duos ont ainsi eu la chance d’être au plus près des chanteurs en incarnant des étudiants en Beaux-Arts. Observateurs, ils assistent aux cours de philosophie du professeur Don Alfonso et aux leçons d’art de Despina, qui, dans cette version, joue le rôle d’une enseignante plutôt que d’une domestique. Présents tout au long du spectacle, dans les divers lieux du campus, ils prennent part à l’expérience orchestrée par le philosophe et ses deux étudiants, Guglielmo et Ferrando.

Un casting jeune pour représenter notre époque

Marie-Eve Signeyrole a choisi de transposer l’opéra de Mozart à notre époque, convaincue que le vivre-ensemble a évolué. Aujourd’hui, les relations amoureuses sont différentes et il est pleinement assumé de pouvoir aimer de multiples manières.

« Ces nouvelles manières de vivre ensemble appartiennent principalement à la nouvelle génération, ou du moins, disons qu’elles sont pleinement assumées et revendiquées par les plus jeunes. C’est aussi pour cela que nous souhaitons une distribution de jeunes interprètes, afin d’être le plus proche possible de la jeune génération. »

Marie-Eve Signeyrole

Si les figurants ont été sélectionnés parmi les vingtenaires, les rôles principaux sont également portés par des artistes émergents, en pleine effervescence : la soprano Tamara Banjesevic dans le rôle de Fiordiligi, la soprano Giulia Scopelliti dans celui de Despina, la mezzo-soprano Deepa Johnny dans celui de Dorabella, le ténor Robert Lewis en Ferrando et le baryton Ilya Kutyukhin en Guglielmo.

Une équipe technique est également présente sur scène, notamment un caméraman qui capte les réactions des protagonistes et les retransmet en direct sur un écran géant en fond de scène. L’utilisation du numérique et des projections sur grand écran, marque de fabrique de la metteuse en scène, permet de révéler ce que les mots ne peuvent exprimer et de dévoiler les fantasmes inavouables des deux héroïnes.

Une expérience sociale

Rappelons l’histoire de Cosi fan tutte : Un professeur de philosophie, Don Alfonso, explique à ses étudiants que toutes les femmes peuvent être infidèles. Refusant de le croire, Guglielmo et Ferrando acceptent de participer à une expérience mettant leurs fiancées à l’épreuve. Chacun se déguise afin de séduire l’amante de l’autre.

Simone Del Savio, interprète de Don Alfonso, énonce, dans un italien impeccable, sa théorie aux étudiants et au public. L’expérience commence alors : nous sommes projetés dans un véritable laboratoire de l’amour où chaque réaction est scrutée et analysée par les élèves témoins.

© Paul Bourdrel

Chaque jour, un projecteur affiche au tableau les conclusions tirées des différentes étapes de l’expérience menée sur Fiordiligi et Dorabella à leur insu. Le caméraman présent sur scène joue le rôle d’un étudiant chargé de documenter l’expérience. Il filme les réactions des étudiants qui observent les sujets du test.

© Paul Bourdrel

Le public, quant à lui, observe à son tour les étudiants qui observent… Les points de vue se multiplient et tout le monde devient acteur de l’expérience. N’est-ce pas, après tout, ce que cherche Don Alfonso ? Changer de perspective pour mieux ouvrir les yeux ?

À la fin de l’expérience, les projecteurs s’allument sur le public et le professeur conclut en disant : « Cosi fan tutte », une phrase qu’il fait reprendre par ses étudiants, et même par le public. Il nous invite à réfléchir sur l’amour et finit par corriger la phrase au tableau en « Cosi fan tutti ».

L’Art au cœur de l’Opéra

L’histoire se déroule dans une université des Beaux-Arts, où se côtoient peintres, sculpteurs, cinéastes et danseurs. Sur scène, le caméraman filme leurs prestations en direct, retransmises sur un écran géant. Durant l’entracte, j’ai eu la belle surprise de pouvoir admirer certains de ces tableaux, exposés à l’accueil.

À différents moments, des modèles prennent la pose, évoquant à la fois les cours de dessin et la sensualité du corps humain.

© Paul Bourdrel

L’harmonie des voix est remarquable. Les timbres de la soprano Tamara Banjesevic et de la mezzo-soprano Deepa Johnny s’unissent à merveille. Les six rôles principaux ont été interprétés avec une maîtrise parfaite.

L’humour a conquis le public, qui a ri en chœur à plusieurs reprises, que ce soit grâce aux scènes pré filmées projetées sur grand écran ou au jeu des acteurs. Nous avons passé un moment des plus agréables.

Enfin, lors de la dernière scène, les figurants s’allongent en couple sur une toile blanche, filmée en plongée et projetée sur l’écran. Une œuvre éphémère représentatrice de ce spectacle.

© Paul Bourdrel

Un divertissement qui fait réfléchir

Cet opéra est considéré comme un opera buffa (sujet comique), mais Mozart confère à la musique une profondeur que les paroles seules ne peuvent exprimer. Il parle sérieusement d’amour tout en donnant à l’ensemble l’apparence d’un jeu.

Le dernier air se conclut par un tutti :

« Heureux l’homme qui prend toute chose du bon côté, Et, dans les malheurs et les déboires, se laisse guider par la raison. Ce qui fait pleurer les autres, est pour lui motif de rire. Et dans le tourbillon du monde, il trouvera le plus beau calme »

Pourtant, la musique nous raconte autre chose : elle est tonitruante et semble davantage évoquer le trouble. À plusieurs reprises, elle contredit les paroles des personnages. Traduit-elle leurs véritables sentiments ?

Au début de l’opéra, Fiordiligi et Guglielmo sont vêtus de bleu, tandis que Dorabella et Ferrando portent du rouge. Mais au fil de la pièce, les rôles évoluent : Guglielmo passe au rouge et Ferrando au bleu. Les duos se recomposent, et les voix s’harmonisent différemment. Une illustration subtile de l’influence des autres sur nous et des transformations qu’elle engendre.

La musique semble ainsi traduire ce que les personnages n’osent avouer. Elle nous invite à réfléchir sur l’amour : une réalité mouvante, non figée, qui dépend de l’environnement et des circonstances.

 

Je ne peux que féliciter le travail de Duncan Ward et Marie-Eve Signeyrole, qui ont su offrir une vision nouvelle du très célèbre opéra de Mozart. Ce fut une expérience incroyable !

Vous avez aimé cet article ? Retrouvez nos autres reports en cliquant ici.

Vous allez aimer !