Nous étions invités le 29 septembre à la Floral Party. Nous avons pu y interviewer Ponce qui y dévoilait la création d’un label musical : Floral Records. Calés tout l’après-midi dans une confortable mezzanine du Bataclan, Hugo et Matthias ont ensuite interviewé l’ensemble des artistes qui jouaient le soir même. Tip Stevens et son bassiste Anto ont été les premiers à se prêter à l’exercice d’une interview filmée disponilbe sur notre chaîne youtube.

Nous avons ensuite pu échanger plus longuement sur différents sujets qui leur tenaient à coeur. En vrac : les possibilités offerte par les concerts retransmis en live, les questions liées à l’économie de la musique, la pression que peut générer Twitch. Voici une retranscription de cette discussion pendant laquelle nous n’avaons pas vu le temps passer !


Liberté de format

Matthias: On est passés pendant vos balances, ça promet ! On a hâte de vous voir jouer tout à l’heure. On te connaît par Twitch et c’est cool de pouvoir vous voir jouer de la musique irl !

Tip Stevens: Oui, on a hâte aussi ! J’ai commencé Twitch en 2018, mais en fait ma priorité ça a toujours été la musique. J’ai monté mon premier groupe à 12 ans, puis j’ai enchaîné groupe sur groupe avec un peu plus d’ambition à chaque fois. C’est comme ça qu’on s’est rencontrés d’ailleurs avec Anto. On s’est retrouvés à fréquenter les mêmes scènes avec nos groupes de l’époque. Donc finalement des concerts, on en a déjà fait des centaines.
Après il y a eu le confinement, ça m’a permis de monter mon projet solo et de renforcer les liens avec ma communauté sur Twitch. Mais maintenant qu’on a la possibilité de refaire du live, on n’a qu’une envie, c’est de s’y remettre !

Anto: Twitch ça nous a permis d’avoir cette liberté de format qu’on n’aurait pas eu partout. Jusqu’ici on a fait le choix de faire que des EP qui est un format plus court. Mais les maisons de disque traditionnelles refusent généralement de mettre en avant tout ce qui sort du format album. À part éventuellement pour la première sortie d’un groupe émergent où ça peut servir de vitrine pour propulser le futur album. Mais ça ne correspond pas à ce qu’on a envie de faire du coup parce qu’on veut explorer plein de styles.
Et c’est ça qui a été génial avec Floral. Dès le début ils nous ont dit qu’ils nous signaient justement pour qu’on puisse faire tout ce qui nous plaît. Et pas qu’on aille s’enfermer dans des schémas qui ne nous correspondent pas.

Tip Stevens: C’est clair qu’en se bornant à garder ce format EP on se tire une balle dans le pied stratégiquement parlant. Même au niveau des subventions, c’est presque que pour les albums qu’on peut en bénéficier. Donc là, on a clairement dit à Floral : ces revenus-là, on peut tirer un trait dessus. Et ils ont quand même accepté !

Anto: De toute façon, pour nous, la réussite c’est quelque-chose qui doit passer par le respect du projet artistique de base. Bon après, j’imagine que c’est le discours que tous artistes tiennent à leurs débuts. [rires] Mais pour l’instant, on est bien dans ce qu’on fait et on n’a pas le feu aux trousses donc on en profite pour se développer à fond artistiquement !

Tip Stevens: Et c’est vrai que pour ce côté stabilité Twitch ça m’apporte vraiment quelque chose. Pendant le confinement, ça m’a permis de penser à autre chose vu qu’on n’avait pas les concerts. Ça m’a permis de me rapprocher de ma communauté et de faire autre chose, là où d’autres artistes se sont retrouvés sans rien.

les revenus musicaux

Hugo: Et donc, si c’est pas trop indiscret, vous arrivez à vivre de la musique et de Twitch aujourd’hui ?

Tip Stevens: Aujourd’hui pour moi s’il n’y a pas Twitch c’est chaud. J’en viens à vivre de ça. Ce qui est complétement fou d’ailleurs, et j’en reviens toujours pas ! À la base, je me suis lancé sur la plateforme parce que je répétais pour le Download Festival. Je me suis dit que tant qu’à faire, j’allais le faire en live pour pouvoir discuter avec des gens. On était cinq ou six et quand il y avait vingt viewers c’était la fête ! [rires]
Et puis à un moment c’est parti en sucette, j’avais pas du tout prévu de devenir streamer à l’origine.

Anto: Oui finalement ton style et tes formats ça a attiré une audience plus large. Et c’est grâce à ça aujourd’hui que tu peux vivre de ta musique.

Tip Stevens: Oui, même si je dissocie mes revenus Twitch des revenus que je génère uniquement de la musique.

Anto: Donc si on le prend sous cet angle, il n’y a qu’une seule personne dans notre groupe qui vit de la musique. C’est notre batteur. Qui est un des meilleurs batteurs que je connaisse et qui fait tous ses revenus d’intermittent en tournant tout le temps. Il est trop fort. Pour ce qui est des autres membres, toi tu vis de Twitch, moi je suis intermittent mais ça comprend beaucoup de technique, et Mathis qui est plus jeune se débrouille.

Tip Stevens: Oui c’est vrai que les âges dans notre projet c’est un peu aléatoire. Nos années de naissances c’est 90, 92, 98 et 2002. J’ai douze ans d’écart avec Mathis du coup. Mais je m’en fiche, ce qui m’intéresse c’est comment mes musiciens jouent et pas leur âge. D’ailleurs, on ne s’en rend même pas trop compte. On se sert juste de notre âge pour se chambrer ! [rires]
Mais donc pour en revenir aux revenus, je n’ai jamais considéré la musique comme acquis. J’ai toujours fait des petits boulots à côté pour financer mes projets musicaux. J’ai été surveillant, j’ai bossé au McDo…

Anto: Oui, c’est vrai que c’est souvent à perte un projet musical finalement.

la pression liée à twitch

Matthias: Mais du coup, est-ce que Twitch ça ne te rajoute pas une pression supplémentaire maintenant que c’est ta source principale de revenus ? Tu ne te sens pas dépendant vis-à-vis de la plateforme ? Est-ce que par exemple tu te permets de t’absenter parfois et de ne plus streamer pendant quelque temps ?

Tip Stevens: Je suis plutôt du genre à me fixer des objectifs et à m’y tenir. Donc là par exemple j’ai un planning de trois jours par semaines. Même quand je ne suis pas trop dans le mood, ou un peu crevé, j’y vais. Et finalement j’ai jamais regretté, je passe toujours de bons moments en live donc je fais bien.
Pour ce qui est des grosses pauses, j’ai décidé que tant pis, j’en aurai rien à faire. Là par exemple, je me suis absenté en août pour me concentrer sue ce que j’avais à faire pour le projet, quitte à perdre des revenus.
Mais c’est vrai que c’est une grosse source de stress pour beaucoup de streamers. Je me souviens que Jean Massiet en avait parlé par exemple. Et c’est quelque-chose que je comprends.
En fait j’ai commencé à suivre Twitch au début, à l’époque de Justin TV où je jouais à Starcraft. Et on a vu de gros streamers se développer. Par exemple j’ai suivi le parcours d’Antoine Daniel, de tout ce qu’il a vécu puis sa migration réussie sur Twitch. C’est quelque-chose dont on a beaucoup appris et dont on peut s’inspirer aujourd’hui. On est conscient de ce que ça peut être d’avoir une communauté. Il faut développer sa chaîne en ayant tout ça en tête pour éviter de tomber dans les mêmes pièges.

Et donc oui, il y a toujours un risque de perdre une partie de la communauté quand tu fais une pause. Mais j’ai décidé d’habituer les gens dès le début au fait que j’ai une autre activité à côté et que ça va m’arriver de m’absenter. Mais en fait les gens ont compris que c’est pour le bien du projet musical. Et puis c’est pas comme si je disparaissais un an, les gens ne t’oublient pas en un mois. Quand je suis revenu, j’avais même plus d’abonnements qu’avant, c’est insensé !
Donc voilà, je pense qu’il faut dédramatiser tout ça. Il y a certaines personnes qui pourraient se permettre de faire plus de pauses que ce qu’elles pensent en fait.
Bien sûr c’est plus facile pour moi de dire ça. J’ai la musique pour assurer mes arrières et ce n’est pas le cas de tous les profils de streamers. Et puis là on parle d’une pause d’un mois. Une pause d’un an, ce serait un autre débat.

Hugo: C’est vrai que sur Twitch il y a une autre temporalité, mais ce que tu dis et valable aussi pour la musique. J’ai en tête l’exemple de Bigflo et Oli qui ont décidé de faire une grosse pause de deux ans parce qu’ils étaient proches du burn-out. Leur maison de disque leur a dit qu’ils étaient fous. Finalement leur dernier album est un succès commercial et artistique, ils ont rempli un festival et des tas de zéniths.

Anto: Bien sûr ! Et en même temps c’est normal que les maisons de disques te mettent la pression parce que tu fais vivre directement des tas gens par ta musique, pas seulement toi.

Hugo: Mais le cas de Twitch est différent parce que autant les gens peuvent écouter ton album pendant un an, autant une fois que tu as fini regardé toutes les rediffs, tu passes à autre chose.

Tip Stevens: Oui c’est pour ça. Pour l’instant ça va, j’ai le luxe de ne pas m’inquiéter aussi parce que je sais que je n’ai pas de très grosses pauses de prévues. J’ai le temps de faire les deux. Et puis ça me plaît de concilier les deux.
Par exemple si un jour on part en tournée, je ne suis pas contre l’idée  de prendre un ingé stream qui s’occupe de ça pour montrer nos concerts. Les gens verront dix fois le même set mais c’est ça qui est cool, on pourra en rigoler.

Anto: C’est vrai que c’est une idée qui nous taraude depuis le depuis du projet de faire cette tournée streamée à l’occasion !

Concerts et streams

Matthias: En parlant de ça justement, je me demandais votre avis de musicien sur les concerts retransmis en live sur Twitch. Je sais que certains ne le voient pas forcément d’un très bon oeil. Est-ce que pour vous c’est qu’un gadget ? Qu’est-ce que ça apporte de plus qu’une simple captation par exemple ?

Tip Stevens: Non ça rajoute vraiment quelque-chose ! Pour les gens qui regardent, ils peuvent interagir, voir tout le monde qui spamme les paroles et des emotes dans le chat.
Je sais que certaines personnes ne pouvaient pas venir ce soir parce qu’elles habitent trop loin, et ils vont quand même envoyer des messages à leurs potes. Ils vont réagir en même temps à ce qui se passe en live sur leur discord. J’ai préparé des stickers qu’on va offrir aux gens ce soir et il y en a qui ont demandé pour qu’on les envoie par la poste.
C’est pour ça que c’est trop bien, ils ne viennent pas, mais ils le vivent quand même. C’est juste du bonus.
Il y a des gens qui sont frileux à l’idée de retransmettre le live parce qu’ils se disent qu’il va y avoir moins de monde.

Anto: Alors que ça n’a rien à voir. Les gens préfèrent être là. Il y a des gens qui ont fait la route de Belgique, de Toulouse pour venir.
Mais pour ceux qui ne peuvent pas se permettre de venir, on comprend que ça compte. C’est l’occasion de pouvoir vivre quand même le concert d’une autre manière.
Surtout que maintenant, on a de l’expérience comparé au début où certains organisateurs ne savaient pas comment s’y prendre. Aujourd’hui c’est quand même globalement mieux fait. Il y en a qui étaient doués et ce sont ceux qui le font encore maintenant.

Hugo: Et même au-delà des concerts, il y a un lien fort entre la communauté Twitch et celle de la musique. On voit des musiciens comme par exemple Hermann Lee de Dragon Force ou Mathew Heafy de Trivium qui ont leur propre chaîne. Ça leur permet déjà de se défouler, mais aussi de garder un vrai lien avec leur public quand ils répètent, quand ils sont en tournée, quand ils sont en pause aussi.

Tip Stevens: C’est exactement ça. On avait cette discussion avec les gens de Twitch. Et c’est vrai que ce lien là qu’on a, on ne l’avait jamais connu avec aucun réseau social auparavant. C’est vraiment unique. T’auras beau poster des stories, faire des tweets ou des vidéos, ça ne créera pas un lien aussi fort avec les gens qui te suivent.


Merci à Tip et Anto pour cet échange qui aurait pu durer des heures s’il n’y avait pas eu le concert ! Voici leur performance génialissime (non sans éxagérer, nous avons vraiment adoré) si vous ne l’avez pas encore vue !

Et foncez bien-sûr suivre la chaîne Twitch de Tip Stevens ! En attendant son prochain live, jetez un oeil à nos autres interviews et reviews d’albums sur Pozzo Live !

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