La programmation des Inouïs nous a permis de découvrir un nouveau talent lors du Printemps de Bourges. Artiste bedroom pop, Yoa nous parle de ses débuts dans la musique, des artistes qui l’ont influencée et des gens qui l’ont accompagnée. Retour sur notre échange avec la jeune artiste.

Est-ce que tu pourrais te présenter pour les personnes qui ne te connaissent pas ?

Je m’appelle Yoa, j’ai 23 ans, je viens de région parisienne et je fais de la pop musique à la fois dansante et triste.

Dans “Diabolo menthe” à la fin tu te demandes : “pourquoi je suis différent ? Je crois bien que je suis différent”. Non seulement j’ai été interpellée par ces paroles parce qu’elles sont touchantes, mais aussi par le fait que tu dises “différent” et non pas “différente”. Est-ce que tu pourrais m’expliquer ce passage ? 

Oui grave ! C’est un passage qui interpelle beaucoup. Les gens me posent souvent la question. Pourquoi différent et pas différente ? J’ai choisi d’écrire ça comme ça parce que je trouve que ça permet de ne pas genrer et de laisser planer un petit doute sur mon identité de genre. Même si je me présente de manière hyper féminine, avec les codes de la féminité traditionnels, dans ma tête je me définis pas forcément et entièrement comme femme. Même si pour l’instant je le suis. Je l’ai écrit comme ça et je l’ai pas changé depuis. J’aime bien que ça reste comme ça, parce que ça laisse planer un doute et ça laisse  aux gens un choix d’identification qui est moins binaire. Il y a Zaho de Sagazan, qui est aussi dans la sélection, qui se présente de manière très féminine aussi et qui dit dans une chanson “Je fais le malin” au lieu de dire “Je fais la maligne”. Je trouve ça stylé d’avoir des petits brouilleurs de binarité dans les chansons. Je trouve ça cool et plus facile pour l’appropriation de la chanson par le public.

Toujours sur le même titre, mais cette fois-ci je veux revenir sur la fin du clip. Tu as des tresses qui sont tirées dans tous les sens. Qu’est-ce qu’il représente ce tiraillement ? C’est un tiraillement interne ou bien causé par les gens ?

J’ai pas envie de répondre à la question dans la mesure où, pour moi, c’est vraiment libre à interprétation. Les deux personnes qui ont réalisé le clip – Matteo Renouf et Louise de Bastier, que j’aime énormément – ont choisi de placer plein de petits symboles un peu partout dans le clip, qu’on peut remarquer ou non. Il y a un petit ex-voto qui saigne à un moment, il y a le miroir, il y a évidemment les tresses qui sont identifiables et identifiées facilement. Il y a le papier peint derrière. C’est vrai qu’on a la fin pour nous, mais j’ai pas envie de dire la signification initiale. Parce que moi, je sais que ça me casse mon imaginaire quand j’apprends ce que les créateurs et créatrices, ce que iel pensait initialement. Je préfère ne pas le dire et que chacun puisse voir ce qu’il veut. Effectivement, ça peut être la pression sociale, la pression du monde, la pression de soi-même, les choix…

On voit ce qu’on a envie d’y voir.

Est-ce qu’avoir fait du théâtre au conservatoire t’a aidé à te mettre en scène dans tes clips ? 

Complètement, dans les vidéos et sur la scène, en live aussi. J’ai étudié le théâtre toute ma vie et la musique est venue après. C’est vrai que je me sers énormément du théâtre dans ma manière de me mouvoir, de pouvoir connecter avec le public. Ça intervient aussi dans les clips. Puisqu’aujourd’hui je suis très concentrée sur la musique, j’en fais beaucoup moins. C’est vrai que les moments où je peux jouer et où je retrouve cet amour-là du jeu de comédienne, c’est pour les clips surtout.

Parmi les personnes qui ont joué un rôle important dans ta carrière, il y a notamment l’attachée de presse Mélissa Phulpin. Tu lui as envoyé tes morceaux pour avoir des avis et elle t’a proposé de travailler avec elle. Qu’est-ce qui t’a fait aller vers elle spécialement ? 

Le hasard, parce que je savais pas ce qu’elle faisait. J’avais arrêté le théâtre neuf mois auparavant. Je m’étais dit que j’allais faire de la musique, j’avais envie de tenter l’expérience. J’avais un boulot à côté et j’ai travaillé mes morceaux pendant six à neuf mois. Au moment de ma vie où j’ai contacté Mélissa, j’avais envie de sortir un morceau mais je me disais que c’était peut-être ambitieux. J’avais pas envie de le sortir comme ça, qu’il passe entre les mailles du nombre incalculable de projets hyper talentueux qui sortent tous les jours. J’avais pas envie que ce soit seulement pour mon propre plaisir et le plaisir de ma chambre. J’ai vu qu’elle me suivait et qu’elle avait travaillé avec des copains qui font de la musique. Je savais qu’elle était attachée de presse, mais je ne savais même pas ce que ça voulait dire. Je lui ai envoyé mes morceaux par hasard et après, j’ai compris qu’elle avait travaillé avec des des gens importants en France comme ailleurs. Elle a travaillé avec Rosalia, avec Orelsan, plein de chanteurs, chanteuses influents qui m’ont beaucoup bercée. Plus Rosalia qu’Orelsan, par ailleurs. Mais je savais juste que c’était une pro et on commencé à travailler comme ça ensemble.

FKA Twigs Inspiration Yoa Musique

FKA Twigs, une des artistes qui a inspiré la musique de Yoa

Tu as parlé de Rosalia par exemple. Est-ce qu’il y a un ou une artiste, un groupe qui t’a vraiment inspiré ?

Oui, il y a FKA Twigs. Un jour je vais essayer de faire une compilation du nombre de fois où je le dis. C’est risible mais c’est vraiment elle. Pendant le confinement, c’est là que j’ai radicalisé ma volonté de faire de la musique. À ce moment-là, elle m’a beaucoup inspirée.

Ton EP s’intitule Attente. Je voulais savoir pourquoi ce titre ? Ou est-ce qu’il peut être ouvert à interprétation également ? 

 La signification, ça me gêne moins de la donner. Parce que le clip, c’était un objet à trois : moi et les deux réal’. Alors que là, c’est vraiment mon bébé. Ça s’appelle comme ça parce que j’aime… Bon, j’ai vingt trois ans, je suis pas très vieille. Mais l’envie de faire de la musique, j’ai mis du temps à me l’avouer. C’était un temps d’attente. Avant de me lancer, j’ai attendu d’être prête. J’ai attendu que ce soit le bon moment et pour moi c’était logique d’appeler l’album comme ça, parce que c’était la réalisation de l’attente. Et en même temps, je trouve que le moment de l’attente est très particulier. Il est bizarrement au présent, parce qu’on attend toujours un truc qui va arriver. Et aussi parce que le premier et le dernier morceau font comme une boucle. Le dernier morceau, il y a une phrase : “J’ai attendu longtemps avant de chanter pour toi”.  C’est l’un des premiers morceaux que j’ai écrit pour l’album.

Et tu as aussi fait une collaboration sur un titre du même nom que ton EP, avec le rappeur Tomasi

(Yoa 🙂 C’est lui *le pointe du doigt et rit*.

(Tomasi 🙂 C’est pas marqué sur ma tête. En même temps là, je suis habillé en Jérôme du Club Med. *rire*

Tomasi rap Yoa musique

Tomasi

LA BOUCLE EST BOUCLÉE

(Yoa 🙂 *rire* Lui, il avait ce projet musique depuis très longtemps, avant moi. Ça fait quatre ans qu’on est ensemble mais ça fait un an que je fais de la musique, que je suis professionnalisée. Au début de notre relation, j’allais en session avec lui, je voyais comment il faisait pour écrire des morceaux. J’étais très fan de ce qu’il faisait, de sa musique, sa mélodie… mais ça n’a jamais été le point de départ de notre relation. Au début, on s’amusait à faire des morceaux ensemble parce qu’il savait que je chantais bien et qu’il aimait bien ma voix. On faisait ça pour rigoler. Et puis moi toute seule, je me suis dit que j’avais envie de faire de la musique”. On a commencé à suivre le même état d’esprit de quand on faisait de la musique tous les deux pour rigoler. Moi je composais, j’écrivais les paroles et puis il m’aidait à arranger avec l’ordinateur. J’avais jamais appris à me débrouiller avec les logiciels. C’est un peu comme ça qu’on a fonctionné. Pour ce morceau-là, on a travaillé tout l’EP avant de le sortir avec d’autres copains musiciens qui étaient dans le groupe INUIT. On allait dans leur studio à Nantes pour tout retravailler. Pendant une session l’après-midi, on s’est dit que ce serait symbolique qu’il apparaisse sur l’EP. Mais on allait pas réécrire un morceau.

(Tomasi 🙂 Il y a aussi l’idée de la boucle. L’attente, c’est une boucle parce qu’on attend toujours quelque chose. On l’a commencé, on l’a fini, maintenant on lui donne autre chose, comme une marche d’escalier en plus. C’était le dernier point d’orgueil de l’EP, le moment où je me suis isolé dans la voiture et j’ai écrit ces dix phrases. On les a chantées et l’EP était fini.

Pour ma dernière question, je voulais revenir sur le concept d’intersectionnalité. Dans une interview, tu as dit que ça manquait un peu dans la culture. A quel point tu considères que ta musique peut améliorer la représentation intersectionnelle dans la culture ? 

J’aborde des thèmes qui sont politiques et qui sont très variés. Mais pour moi, cette intersectionnalité est dans le projet parce que je suis une femme et que je suis métisse. C’est à partir du moment où tu es à la jonction de deux discriminations. Même si tu ne revendiques pas ça, c’est un fait : tu es à l’intersection de minorités. Après effectivement, tu peux ne pas écrire là-dessus mais je pense que c’est bien d’en parler.  Comme je mets beaucoup de moi dans ma musique, forcément ça se ressent. J’en parlais beaucoup au début, quand j’ai sorti l’EP.

Mais maintenant, de toute manière, je sais que je suis métisse, je suis une meuf qui chante. Que je le veuille ou non, mon corps est forcément politique.

EN BREF…

On est curieux de découvrir l’évolution de Yoa, qui s’est lancée il y a peu dans la musique. Elle réunit beaucoup d’éléments qui s’avèrent prometteurs : sa voix, les gens qui l’accompagnent, ainsi que ses considérations artistiques et humaines. Pour en découvrir plus, rendez-vous sur Spotify… en attendant qu’elle sorte un nouveau projet !

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