Suite à la sortie en janvier 2020 de Kala, le dernier album du groupe Mobius (voir la chronique ici), j’ai eu la chance de pouvoir interviewer Xavier Pompon, le guitariste du groupe. Nous parlerons tout d’abord du groupe en général, puis de l’album plus en détail.

PL : Bonjour Xavier. Tout d’abord, peux-tu me présenter un peu le groupe ?

X : Mobius a commencé en 2012 à l’île de la Réunion avec Anton l’ancien guitariste, Guillaume le claviériste et Adrien Brunet, le batteur actuel, très vite rejoint par Julien à la basse. Je n’étais pas encore là à cette époque. En arrivant en France, ils ont rencontré Héli, au chant, et c’est sous ce line-up que The Line, le premier album, est sorti. Je suis arrivé dans le groupe à la sortie de The Line.

Étant moi-même originaire de l’île Maurice et Alexandre (à la basse) du Portugal, nous venons donc tous de plusieurs horizons différents !

PL : C’est bien, cela permet différentes approches de la musique, ce qui est utile pour créer par la suite ! Justement à ce sujet, comment se déroule le processus de création de vos albums ?

X : Les deux grosses « têtes pensantes » du groupe au niveau musical sont Guillaume et Adrien qui composent beaucoup sur Guitar Pro. Au niveau du thème d’album, c’est Héli qui gère vraiment tout ce qui est paroles. On peut adapter ensuite notre travail pour coller avec le thème. Pour Kala nous avions déjà quelques idées de sons indiens, et avec les paroles écrites par Héli tournant autour de la Vie et de la Mort, nous avons pu mélanger les deux afin de construire quelque chose de cohérent.

Donc pour revenir à ta question, ce sont Guillaume et Adrien qui composent le gros de la base avec l’aide de Guitar Pro. Cette base passe ensuite par Alexandre et moi qui chamboulons un peu tout, ajoutons des sons et refaisons des nouvelles parties de guitare et de basse.

PL : Quelles sont les influences musicales de chacun au sein du groupe ?

X : Héli est très « World Music ». Guillaume et Adrien aiment beaucoup tout ce qui est Jazz. Alex est plutôt Pop mais aussi Jazz et ce genre de musiques relativement compliquées (rires).

Quant à moi j’ai commencé avec du Iron Maiden et du Pink Floyd, et dans les musiques modernes je suis plutôt dans le progressif style Haken, Tesseract… Mais on tourne toujours tous bien sûr autour du Metal Progressif, même si à côté on a des goûts qui diffèrent. Par exemple, je suis incapable d’écouter du Jazz, je n’y comprends pas grand-chose ! Je peux écouter un peu, mais ça ne me parle pas vraiment.

PL : À ce titre, comment définissez-vous votre musique ?

X : On nous a beaucoup posé la question, et on n’arrive pas vraiment à y répondre. Ce qu’on a trouvé qui s’en rapproche le plus, ce serait du « Metal moderne avec de la musique du Monde ». C’est du Metal Progressif certes, mais on ne saurait pas dire plus.

PL : Ce n’est pas plus mal après tout, cela veut aussi dire que vous ne vous fixez pas de limites.

X : Non, nous n’avons pas du tout de limites. Cela risque de changer. Ça restera toujours du Metal mais on fait ce qui nous plaît.

PL : Vous avez joué au ReadyForProg Festival en octobre dernier et à l’Euroblast Festival en septembre. Comment en êtes-vous venus à jouer dans ces festivals ?

X : Par contact. C’est nous qui nous tournons vers les organisateurs, nous sommes totalement autonomes et n’avons pas de manager qui gère cela, donc par mail ou en rencontrant des gens à des festivals ou des concerts. C’est d’ailleurs au BeProg, à Barcelone, que nous avons rencontré Romain Castel, l’organisateur du ReadyForProg?. Bien sûr ensuite, c’est la musique qui passe en premier. Si les organisateurs aiment ce que tu fais, ça ira !

PL : Concernant votre popularité à l’étranger, où en êtes-vous ?

X : En se basant sur les réseaux internet, on a une bonne fanbase au Brésil et au Mexique, une bonne partie en Europe et un peu en France. Mais le Metal Progressif a beaucoup de mal à bouger en France contrairement à d’autres pays. Et puis paradoxalement, pour être connu en France il faut être connu ailleurs d’abord afin de pouvoir prétendre à de belle dates chez nous.

Néanmoins, l’avantage avec ce style de musique est que les fans sont des personnes très… spécifiques, passionnées. Elles ne sont pas dans l’optique de simplement acheter un album et de l’écouter, mais vont bien souvent suivre le groupe et s’intéresser en profondeur à ce qu’il fait. Et c’est très bien !

PL : J’avais lu qu’avec le groupe vous aviez dans l’optique de jouer à la Réunion et sur l’île Maurice, où en est ce projet ?

X : C’est toujours quelque chose que l’on veut beaucoup faire, mais le billet d’avion pour aller là-bas est très cher et il nous faut trouver des financements. On ne peut pas y aller par nos propres moyens. On est en contact avec des personnes là-bas, mais pour le moment tout est en stand by. En tout cas on y travaille, et peut-être faire une petite tournée Réunion, île Maurice, Madagascar.

PL : Et par rapport à d’autres concerts ? Car vous avez joué seulement deux dates à Lyon dont la release party de l’album.

X : On devait peut-être jouer début juin au Comendatio, au Portugal, avec des groupes comme Haken, Monuments, Vola, Voyager ou encore Rendezvous Point, mais avec la crise sanitaire actuelle on ne sait pas si le festival aura lieu. On a plusieurs projets mais au vu de la situation, nous n’avons rien de confirmé donc on ne sait pas vraiment.

PL : Tu m’as dit que tu profitais du confinement pour composer, qu’en est-il d’un troisième album ?

X : Un troisième album va arriver, c’est certain. Maintenant, je ne peux pas encore te dire quand. On prend notre temps, on a déjà plusieurs compos de faites sur Guitar Pro, mais on est encore à la toute première étape, à trier ce qu’on a fait et à recomposer des choses. C’est un style de musique qui demande pas mal de travail de composition et d’arrangements, donc on prend notre temps pour faire quelque chose de bien !

PL : Une idée quant au thème du prochain album ?

X : Non du tout. Là-dessus on est encore dans le flou, on se laisse guider par ce qui vient. Comme pour Kala, on n’avait pas prévu au départ de partir sur des sonorités indiennes.

PL : Passons aux questions relatives spécifiquement à votre nouvel album, Kala, qui est sorti en janvier dernier.

Mobius

La pochette de l’album m’a vraiment émerveillé, je la trouve magnifique et c’est certainement l’un des plus beaux artwork que j’ai pu voir. C’est donc Vincent Fouquet qui l’a réalisée (Above Chaos) ; comment est-ce que vous vous êtes décidés à travailler avec lui ?

X : Initialement, Vincent est une connaissance de Héli. Il a plutôt pour habitude de faire un travail en rapport avec le Black Metal, mais c’était aussi lui qui avait fait la pochette de The Line à l’époque et nous avions beaucoup aimé le rendu. Héli qui s’occupe de tout ce qui est aspect visuel lui donne tous les renseignements nécessaires par rapport au thème de l’album. C’est la dernière étape dans la création de l’album.

PL : Kala, signifie « le Temps » en Sanskrit, et l’album débute avec Abhinivesha qui, si je ne me trompe pas, signifie quelque chose comme « s’accrocher à la vie » puis termine par Bhati signifiant « réincarnation »…

X : Oui c’est exactement ça, l’album commence avec la mort puis continue avec le temps entre la mort et la réincarnation. Tout cela est développé sur la pochette de l’album : la pochette commence avec des petites bulles représentant les cellules, qui finissent en cendres. C’est le passage entre la vie, qui sont les cellules, et la mort où ton esprit part en poussière et revient, le dessin formant un cercle se référent à la réincarnation. Tu as donc le thème de l’album, c’est-à-dire la Vie et la Mort.

PL : Je rebondis là-dessus par rapport au premier album qui parlait d’un certain mal-être, le fait de ne pas se sentir à sa place dans le Monde. Ainsi, cette recherche de soi est un thème qui vous parle beaucoup ? Vous pensez le réutiliser sur le troisième album, puisque les deux premiers restent en lien malgré tout ?

X : Ce n’était pas prévu que ce soit en lien. Comme c’est Héli qui s’occupe de tout ce qui est paroles et thèmes, cela a été fait par rapport à ses propres expériences. Kala a été écrit suite à la mort d’un de ses proches, ce qui a donné naissance au titre Abhinivesha et nous sommes partis sur ce thème. On n’a pas du tout mis The Line dans la conversation lorsqu’on a parlé de Kala. Et je pense que ce sera pareil pour le prochain album, on ne va pas du tout mettre Kala dans la conversation et on verra où cela nous mène. Peut-être auront-ils un thème lié, peut-être pas.

PL : Par rapport aux différences entre Kala et The Line, qu’est-ce qui a changé sur l’enregistrement ? Car je trouve que le son est vraiment meilleur que celui de The Line, même s’il était déjà très bon. On peut plus facilement faire la distinction entre chaque instrument.

X : Je pense que tout le monde a pris de l’expérience. Ensuite c’est le même ingé son qui a fait les deux albums qui est aussi notre ingé son de live, Raphaël. C’était un premier gros projet pour lui parce qu’il y a beaucoup de choses à mixer dans les chansons. Il a pris beaucoup de niveau entre temps. De plus, je suis extrêmement pointilleux sur mon son de guitare, peut-être plus que mon prédécesseur. Ensuite on a une oreille qui s’est beaucoup plus développée depuis, et la technologie avançant à une vitesse folle, on a bien plus de facilité pour faire des démos, des maquettes etc afin que Raphaël puisse travailler dessus. On a aussi pris plus de temps pour faire les choses, sans se précipiter.

PL : Ce qui m’a le plus marqué à la première écoute de Kala, c’est le chant d’Héli. Elle avait déjà un très bon niveau sur The Line, mais là son chant est juste incroyable.

X : Oui elle a vraiment pris du niveau c’est certain ! Pour avoir travaillé avec plusieurs autres groupes avant Mobius, ce dernier est le seul où chaque membre travaille son instrument au même niveau. Héli travaille autant sa voix que moi ma guitare, qu’Adrien sa batterie, qu’Alex sa basse ou encore que Guillaume son clavier. Ça nous prend beaucoup de temps. Il y a beaucoup de groupes où le chanteur se la coule un peu douce, ou des groupes dans lesquels il y a de gros décalages de niveau entre les musiciens, mais ce n’est pas notre cas. On arrive tous à progresser de la même manière de façon à ce que lorsque l’un de nous propose quelque chose, les autres sont capables de suivre. On a bien transpiré pour enregistrer Kala, mais ça nous a fait énormément progresser. Surtout pour jouer les titres en live, puisque contrairement au studio on ne peut pas déconstruire les morceaux partie par partie.

PL : Sur les trois interludes de l’album, A, U et M, pourquoi avoir décidé de mettre seulement des lettres ?

X : Les trois lettres forment le mot « aum » qui rentre bien dans le contexte de l’album. Je n’ai plus la définition en tête, je t’invite à demander à Héli qui saura te répondre mieux que moi. Ces titres étant simplement des interludes, présents pour lier les autres titres ensemble, on ne trouvait pas l’utilité de leur donner un très long titre, on voulait qu’ils soient facilement différenciés des morceaux eux-mêmes.

[Pour la réponse d’Héli Andrea, voir la fin de l’interview]

PL : D’accord je comprends mieux le choix de faire apparaître ces trois titres à part sur le dos de la pochette. D’ailleurs les autres titres ne sont pas dans l’ordre des pistes. Pourquoi ?

X : Sur l’image, les titres sont séparés en deux groupes par une barre. Chacun des groupes est placé de part et d’autre de l’hélice, un groupe regroupant les titres liés à la mort (les cendres) et l’autre ceux rattachés à la vie (les cellules).

Mobius

PL : Qu’est-ce que tu dirais pour donner envie d’écouter l’album ?

X : Oulà… Disons que de tous les retours que l’on a pu avoir des gens et des webzines, c’est un album original. Ce n’est pas quelque chose que l’on entend souvent, même dans la musique progressive moderne. Et pour reprendre certaines choses que j’ai pu lire sur des reviews concernant Kala, il faut juste un peu de curiosité et l’écoute devrait très bien se passer !

PL : Dernière question que l’on pose systématiquement aux personnes interviewées chez Pozzo Live : qui est-ce que tu aimerais que l’on interviewe par la suite ?

X : En pensant aux prochains concerts qui auront lieu à Toulouse… Si vous voulez un petit groupe très sympa, ce serait Jack The Joker. J’aime vraiment ce qu’ils font. Ils seront au ReadyForProg? 2020 et je pense même que ce sera leur première date en France !

PL : Merci beaucoup Xavier pour tes réponses et m’avoir consacré tout ce temps. C’était un réel plaisir pour moi de partager cet échange avec toi !

Pour compléter cette interview avec Xavier, j’ai pu poser quelques questions à Héli, notamment en ce qui concerne le thème et les paroles. Voici les questions et ses réponses :

PL : Tout d’abord, pourquoi avoir ce thème pour l’album ?

H : Au moment de la genèse de l’album, j’ai été touchée par le décès d’une personne de ma famille, le père de ma demi-sœur. J’ai été présente pour des événements particuliers avant sa mort, comme lorsqu’on lui a annoncé que son cancer était généralisé, qu’il aurait une opération du crâne, qu’il fallait commencer une chimio mais avec aucun espoir. Et j’ai vu cette personne se préparer à la mort prochaine. C’était une personnalité solitaire, qui ne voulait pas vivre avec la famille. Il est mort chez lui, seul, et son corps a été retrouvé plusieurs jours plus tard. Nous avons reconnu son corps à la morgue, il était dans un état de décomposition avancé, et ressemblait à un arbre sec, creux, et calciné, d’un noir charbonneux. Cette vision m’a marquée, mais j’ai trouvé ça poétique. C’était une image presque végétale, comme un retour à la nature. J’ai donc développé le concept de l’album autour de ses derniers instants de vie, ce qu’il a pu ressentir et penser dans ses derniers instants (Abhinivesha) entre la vie et la mort, mais aussi ce que le corps devient (Sharira, Akasha), les pulsions de vie aussi (Bhati, Mukti), et un concept global s’est dessiné.

Le charbon, le feu (Agni), les cendres, l’univers, les étoiles, le corps, la conscience, et bien sur le temps, sont les éléments de l’album.

PL : Ensuite, comment t’est venue l’idée d’incorporer des parties chantées en Sanskrit ? (et en Tamoul si je ne me trompe pas ?)

H : L’idée pour cet album était d’incorporer de nouvelles influences, des rythmes et des sonorités inspirés de musiques traditionnelles du monde, majoritairement de l’Inde (musique carnatique). Dans cette logique, j’ai eu envie d’incorporer une autre langue, d’autres sonorités et prononciations pour la voix. Après quelques recherches, le Sanskrit m’est apparu comme très musical, profond, et mystique, tout à fait à l’image de l’ambiance que nous voulions donner à l’album. J’avais déjà entendu la voix de Kathir Aryaputra (chanteur du groupe Rudra) qui chante en Sanskrit, et c’était une belle opportunité pour moi de travailler avec cet artiste sur les concepts, les traductions et la prononciation des mots.

Pour le tamoul, c’est quelque chose d’encore différent en terme de sonorités. Je voulais une autre langue pour un passage ultra dynamique, et qui tranche radicalement avec l’anglais. C’est comme ça que le couplet en Tamoul est né sur la chanson Mukti.

PL : Xavier m’a expliqué le choix des interludes A, U et M formant « aum ». J’ai lu que le A signifiait la naissance, U la vie et M la mort. C’est bien cela ?

H : Oui, c’est un cycle, qu’on peut aussi définir comme « le début, la continuité et la destruction ». Le temps est un élément essentiel de l’album (Kala = temps, en Sanskrit), et ces trois interludes forment comme un fil rouge au sein de l’album.

PL : Comme je disais à Xavier, ce qui m’a le plus marqué lors de ma première écoute de l’album, ce sont tes progrès au chant. Déjà très bon sur The Line, il est ici bien plus maîtrisé et teinté de plus de nuances, tantôt aérien, tantôt plus agressif.

H : Merci ! Depuis The Line, j’ai évolué musicalement et je me suis intéressée à diverses techniques vocales comme le chant carnatique, le chant diphonique ou chant long mongol. Grâce à Adrien (batteur de Mobius), j’ai aussi pu m’initier au konnakol qu’on retrouve dans Abhinivesha.

Avec tout ça, et même si c’est toujours en évolution, je sens que je connais mieux ma voix et que j’explore plus.

PL : Dernière question, pourquoi avoir donné un nom au dernier interlude Agni et seulement des lettres pour A, U et M (en plus de leur signification « aum ») ?

H : Agni, c’est le feu (en Sanskrit), et on voulait finir par ça. On entend des crépitements au début de l’album (sur A qui ouvre Abhinivesha), et à la fin (sur Agni). C’était une façon de boucler la boucle.

Au départ, cette piste devait être une piste « secrète », non dévoilée dans la tracklist. Mais on a finalement décidé de lui faire une vraie place.

PL : Je te remercie Héli pour toutes les précisions que tu as apporté !

 

Si vous désirez acheter leur dernier album Kala, vous le trouverez sur leur Bandcamp ici.

Pour un aperçu de ce que propose Mobius avec Kala, voici le clip du titre Bhati :

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