Mr. Morale & the Big Steppers

par Kendrick Lamar

9
sur 10

Une semaine : c’est le temps qu’il nous a fallu pour réussir à écrire sur le dernier album de Kendrick Lamar intitulé Mr. Morale & the Big Steppers. Ce projet voit le jour le 13 mai 2022, soit après une pause de « 1 855 jours ». Après le chef-d’oeuvre DAMN qui a valu à Kendrick un prix Pulitzer, une question s’est imposée : jusqu’où ce prodige du rap peut-il encore progresser ? Cette interrogation a néanmoins résonné dans le vide,  sans personne pour y répondre.

Puis d’un seul coup, tout s’est précipité. Le 9 mai 2022, Kendrick sort le single The Heart Part 5. Magistral, ce titre et son clip rendent hommage à la culture afro-américaine. En effet, il sample Marvin Gaye, et, grâce à la technologie du deep-fake, il prend à la fois les visages de O.J. Simpson,  Kanye West, Kobe Bryant ou Nipsey Hussle.

[youtube https://www.youtube.com/watch?v=uAPUkgeiFVY]

Un peu plus tard, nous avons eu le droit à la pochette de l’album : ce nouveau projet de Kendrick Lamar s’appelle Mr. Morale & the Big Steppers et se divise en deux disques.

Kendrick album 2022 Mr Morale

Nous plongeons ainsi dans l’intimité du rappeur : on le voit accompagné de sa femme et de ses deux enfants. Sa tête est ornée d’une couronne qui n’est pas sans nous rappeler celle de Jésus. L’environnement est sobre, presque triste. On s’attend donc à un album différent, encore plus introspectif, voire expérimental.

Sans plus tarder, voici notre avis sur Mr. Morale & the Big Steppers de Kendrick Lamar sorti le 13 mai 2022 !

Un album thérapie

Le premier titre, United In Grief, nous met directement en garde :

One-thousand eight-hundred and fifty-five days
I’ve been goin’ through somethin’
Be afraid

Après 5 ans de pause, Kendrick semble prêt à raconter tout ce qu’il a sur le coeur. Dans cette introduction, l’artiste se confie sur sa thérapie, ses traumas familiaux, sa nouvelle richesse ou bien ses moments de deuils. Si le début de United In Grief est simple et jazzy, le rythme s’intensifie au bout d’une minute. Le rappeur débite à une vitesse ahurissante et l’instru se fait urgente : on a l’impression de se retrouver en pleine course. Kendrick Lamar part dans une toute nouvelle direction et on est intrigué de savoir ce que nous réserve la suite.

Le même sentiment d’urgence se retrouve dans N95. Sur ce banger, Kendrick continue sa démonstration en changeant constamment de flows et de voix. On en vient presque à se demander si un artiste l’accompagne en featuring, mais il est bel et bien seul. Seul à se questionner sur ce qu’il reste des gens sans leurs artifices, seul à s’interroger sur l’impact du Covid sur la société.

Take all that designer bullshit off, and what do you have?

The world in a panic, the women is stranded, the men on a run
The prophets abandoned, the law take advantage, the market is crashin’, the industry wants
Niggas and bitches to sleep in a box while they makin’ a mockery followin’ us

Le titre qui suit, Worldwide Steppers, nous surprend avec son instrumentale à la croisée entre le jazz et la musique contemporaine. Kendrick continue de se dévoiler : il y parle de son infidélité, du manque d’inspiration et de son rapport avec les femmes blanches.

LA FAMILLE, Là où se rejoignent traumas et amour

Die Hard amène un peu plus de légèreté à l’album. Pour ce morceau, le rappeur est accompagné de Blxst et d’Amanda Reifer, à la voix incroyablement apaisante. Sur un beat quasi estival, Kendrick s’interroge sur sa capacité à s’ouvrir et à s’investir en amour, malgré des blessures liées à sa famille ou ses précédentes relations. Mais la conclusion est optimiste :

I got some regrets (I-I-I, yeah, yeah)
But my past won’t keep me from my best (I-I-I, yeah, yeah)

Father Time, en featuring avec Sampa, explore les « daddy issues » du rappeur. En effet, Kendrick repense à la masculinité toxique qui s’est transmise et ancrée au fil des générations, compliquant alors sa relation avec sa femme. Le titre est ainsi une invitation pour lui, comme pour son public, à briser ce cercle vicieux.

Rich (Interlude) et Rich Spirit se suivent, main dans la main. Dans le premier, la voix parlée de Kodak Black narre les obstacles que rencontre un artiste sur son chemin vers le succès, sur fond de piano vertigineux. Dans le deuxième, Kendrick mentionne notamment son dilemme entre gain matériel et élévation spirituelle.

Les difficultés relationnelles reviennent en premier plan avec We Cry Together. Ce morceau retrace une dispute chaotique entre Lamar et sa femme, jouée par la chanteuse Taylour Paige. We Cry Together n’est pas de la musique, mais une véritable pièce de théâtre de presque six minutes où un couple se déchire. Un grand bravo à la performance de Taylour Paige !

Purple Hearts conclut ce premier disque de Mr. Morale & the Big Steppers dans la douceur, avec la collaboration de Summer Walker et Ghostface Killah.

double album Mr. Morale KENDRICK LAMAR

Fin du premier disque, début d’un nouveau chapitre

Session 10, breakthrough

Le 10ème morceau du double album semble amorcer une nouvelle dynamique. En effet, la première partie de Count Me Out est légère, avec des choeurs magnifiques, comme si on assistait à l’ascension de Kendrick. Néanmoins, après une mini interlude qui nous rappelle Kanye West, le morceau change d’atmosphère et s’ancre dans quelque chose qui est plus rap. A la fin du morceau, l’artiste de Compton accepte enfin les imperfections qu’il a déplorées dans le premier disque et cherche à se diriger vers plus de lumière :

This is me, and I’m blessed (Ah, ya)

C’est alors un homme à la fois torturé et apaisé qu’on entend dans Crown. Il reconnaît, malgré son statut de leader et de modèle dans sa communauté, qu’il ne peut pas plaire à tout le monde. La phrase « I can’t please everybody » est scandée tout au long du morceau, presque comme un hymne. On se demande si cette phrase ne se dirige pas aussi vers ses fans. Car après tout, le rappeur a pris des risques dans cet album en s’éloignant de ce qu’il a pu faire auparavant. Et que l’on aime Mr. Morale & the Big Steppers ou non, on peut admirer le courage de Kendrick Lamar qui est allé au bout de sa vision, tout en acceptant qu’il ne satisferait jamais tout le monde.

Kodak Black revient une nouvelle fois dans Silent Hill, mais cette fois-ci un couplet entier lui est accordé. La collaboration est surprenante, mais les deux artistes survolent une prod mélodieuse et nous font planer.

Kendrick Lamar Morale Steppers

Un appel à l’humilité

Savior (Interlude) nous amène subtilement vers Savior, où Kendrick refuse de jouer le messie pour sa communauté. Accompagné de Sam Dew et de son cousin Baby Keem, il mentionne des thèmes de société comme le racisme ou le Covid. Mais sa question la plus importante reste celle-ci :

Bitch, are you happy for me?
Really, are you happy for me?
Smile in my face, but are you happy for me?
Yeah, I’m out the way, are you happy for me?

Lamar est-il aimé pour son image de leader, ou bien pour la personne qu’il est réellement, pleine de doutes et d’imperfections ?

Auntie Diaries aborde une nouvelle thématique : celle de l’homophobie et de la transphobie.  Dans ce morceau, Kendrick expose la discrimination subie par la communauté LGBTQ+ à travers le regard d’un homme jeune et ignorant. Nous suivons son évolution : plus il grandit, plus il apprend à soutenir son entourage transgenre, plus il doit se détacher des jugements religieux ou familiaux. En abordant ces thèmes et en utilisant le f-word, Kendrick Lamar prend un très gros risque. On se demande alors quel sera l’impact de ce titre sur la communauté hip-hop.

Le retour des batailles intérieures

Dans Mr. Morale, Kendrick Lamar revient sur des problématiques précédemment développées : il y mentionne ses nombreuses infidélités, il parle de viol ou de l’addiction de son cousin.

On retrouve ces thématiques dans le triste Mother I Sober, avec Beth Gibbons de Portishead en featuring. Ce morceau est probablement le plus puissant et le plus réussi de l’album. En 6 minutes 46, Kendrick se confie sur l’agression sexuelle de sa mère, sa nymphomanie, les gens qui sont morts autour de lui et de tous ces fardeaux qu’il traîne avec lui. Plus on approche de la fin, plus Kendrick est agité, sa voix prend de l’ampleur et les violons envahissent l’instrumentale. A travers ce son, le rappeur réalise une catharsis et se libère enfin de tous ses traumatismes générationnels.

You did it, I’m proud of you
You broke a generational curse
Say « Thank you, dad »
Thank you, daddy, thank you, mommy, thank you, brother
Mr. Morale

On conclut ce double album avec Mirror où Kendrick Lamar accepte d’être égoïste et refuse, encore une fois, d’être considéré comme un modèle ou sauveur.

Sorry I didn’t save the world, my friend
I was too busy buildin’ mine again

Lorsque nous terminons Mr. Morale & the Big Steppers, nous y laissons un Kendrick Lamar qui délaisse le statut que lui donne sa communauté, afin de s’améliorer en tant que personne, homme, mari et père de famille.

VERDICT SUR Mr. Morale & the Big Steppers dE KENDRICK LAMAR

Quel album dense et expérimental !

Après 5 ans d’attente, les attentes étaient hautes et de nombreux fans de Kendrick Lamar ont été déçu à la première écoute de Mr. Morale & the Big Steppers. Néanmoins, il faut plusieurs écoutes pour comprendre le projet. En effet, le rappeur a expérimenté une toute nouvelle direction artistique. Il a intégré des nouvelles sonorités plus inspirées du jazz, il a invité des artistes inattendus (notamment Kodak Black) et il s’est livré sur des thématiques très intimes.

Après avoir réalisé plusieurs chefs d’oeuvre, Kendrick n’a plus rien à prouver et ne souhaite plus se faire le porte-parole de sa communauté. Son but est de suivre sa propre voix, de devenir un meilleur homme pour lui-même et son entourage.

D’ailleurs, Mr. Morale & the Big Steppers serait peut-être le dernier album de Kendrick Lamar : si c’est effectivement le cas, l’artiste nous dit au revoir de la plus belle manière qui soit.

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Mr. Morale & the Big Steppers

par Kendrick Lamar

9
sur 10

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