Cave World

par Viagra Boys

9
sur 10

Un an après Welfare Jazz, les Viagra Boys expriment un monde devenu fou avec une puissance dépassant toutes les attentes.

Déjà acclamée sur Pozzo Live, la bande à Sebastian Murphy charme par leur acuité à livrer des morceaux enivrants basés sur une rythmique basse – batterie. Au sein du groupe se retrouve Oscar Carls, saxophoniste déjanté et un producteur électronique DJ Haydn composant les interludes. Au milieu, un interprète lunaire qui résume à lui seul l’identité artistique des Viagra Boys. Entre un je-m’en-foutisme rebelle toxique et une prestance irrésistible, qu’il crie, éructe ou chante langoureusement, son allure vaguement anarchiste passionne.

POST PUNK KILLER

À l’instar de leur logo en yin-yang, les opposés s’accordent, le chaos est une perfection, le crime inhérent à l’humanité qu’ils décrivent. Car dans ce Cave World, les Viagra Boys s’intéressent à une condition humaine désastreuse par un retour à nos racines simiesques.

Pour cela point d’introduction. Lancé sur un rythme furieux de batterie, Murphy retrace l’histoire de Jimmy destiné à devenir criminel. Ce qui était en amorce dans les précédents albums (importance du rythme, influence post-punk, second degré des paroles) est exploité à son plein potentiel dans Baby Criminal.

L’énergie propre aux concerts se fait ressentir par une musique ordonnée d’où résulte une forme chaotique. De la performance possédée de Sebastian, la cadence du morceau et l’exploitation du saxophone magnifié par un refrain pop (« Used to be a baby, now he’s a just a criminal »). C’est par ce biais qu’une cohésion paradoxale se forme autour d’une thématique, celle d’une humanité perdue dans sa violence (psychologique, physique, social, …).

Un passage par les bas-fonds et les égouts dans un interlude électronique (Cave Hole) renforce la cohésion thématique et esthétique en formant un univers sonore explosif dans Troglodyte.

Autre portrait de criminel, celui d’un mass shooter (tueur de masse, phénomène  répandu aux U.S.A.) paranoïaque adepte de théorie du complot. Murphy retourne la situation extrême en un banger post-punk à la mélodie dansante rappelant DEVO. L’intensité ne descend jamais en transmettant des notes de guitares puissantes, reflet du thème violent abordé. Sa prestation sur le refrain (« You’re a Troglodyte Yteeee ! Yteee ! ») et son final démoniaque repoussant ses capacités vocales (dans la lignée du final de Sports) finit d’en faire un morceau jouissif sur les dérives humaines.

Premier pas vers une théorie de l’évolution inversé, notre chanteur a besoin de revenir sur lui-même dans Punk Rock Loser. Magnifiant ses propres défauts dans un flegme musical captivant, il  reflète sa part sombre pour mieux la dompter. Malgré des sonorités groovys entrainantes ainsi que le « cool » caractéristique de Murphy, il est une bombe à retardement. Par la plaisanterie il expose dès ce titre sa réflexion sur la mal inhérent de l’humanité. Une parenthèse musicale électronique viens moduler la répétitivité de la mélodie pour en faire un titre envoutant.

L’enchainement avec Creepy Crawlers enfonce le clou d’individus ayant succombé à la folie. Murphy y interprète un personnage complotiste, passant d’une défiance aux vaccins à la croyance dans un « peuple lézard ». L’insanité contamine l’instrumentalisation, son monologue délirant s’accompagne de sons électroniques et un saxophone à la cadence effrénée dès l’arrivée de la batterie. Dès lors, plus rien n’arrête cette contamination. Ou presque …

I’M A BIG BOY BABY

Avec The Cognitive Trade-Off Hypothesisla théorie (pas si absurde) du parolier prend le temps de ralentir une aliénation grimpante. Sur un groove lancinant, les Viagra Boys se demandent si nous serions plus heureux en étant rester au stade du singe ? La mémoire à long terme et la parole aurait complexifié notre rapport au monde engendrant nos problèmes actuels. Ainsi, par un risque musical (plus pop qu’a l’accoutumé) jouant sur les contrastes (couplet au ton grave, refrain aigu), voici l’un des plus beaux moments d’un projet qui en regorge.

L’interlude Globe Earth annonce un retour à la frénésie ambiante en associant les thématiques personnels aux questions existentiels. L’humour typique du groupe est décuplé par la puissance sonore de ce Ain’t No Thief. Point culminant de l’album porté par un refrain vindicateur sur un beat transcendant mêlé à des guitares distordues. Murphy rend trouble son interprétation, dit-il vrai ou fabule-t-il, le jeu du spectacle y est définitivement plus fort. Cette personnalité autodestructrice ne peut que dérailler comme à la fin du morceau, transition jouissive avec le prochain titre Big Boy.

Le contraste est total, l’enregistrement semble hasardeux et les instruments mal accordés. Mais c’est une fois le morceau fini que l’on comprend son but, chanter la futilité d’une certaine virilité. Partant d’une improvisation country ou le chanteur croise le Iggy Pop de The Idiot aux Beastie Boys sous lexomil. L’apparition de Jason Williamson de Sleaford Mods est naturelle dans cet échange fluctuant entre le post-punk et le hip-hop dont les deux groupes se rapprochent stylistiquement.

Si ADD n’est pas le morceau le plus marquant, il s’intègre pleinement à la cohérence de l’album et son aspect davantage intime. Grave par son fond, léger par sa forme. Murphy aborde son trouble de déficit de l’attention sur une boîte à rythmes new wave. Advient donc une erreur profondément humaine comme le souligne l’interlude nommé Human Error.

REJECT HUMANITY, RETURN TO MONKE

Il n’y a alors plus qu’une solution : revenir à l’état animal. Explicitement a celui du singe sur Return to Monke, morceau final grandiloquent, aussi absurde qu’il représente un cri de désespoir. Dernière explosion, maelstrom esthétique du projet où on retrouve le complotisme, le retour aux origines simiesques, le rejet de la société et donc une nouvelle façon de vivre.

Non sans humour, les Viagra Boys en font un matériau combustible ravageur qui part pourtant d’une blague populaire sur internet. Parodiant les chaines d’informations rassurant la population, la dernière partie du morceau sombre définitivement. Résumé d’une fin du monde imminente ou l’humanité se retrouve prise dans ses propres contradictions.

Cave World s’achève sur une lente agonie musicale. On ne chante plus mais on vocifère sa peur d’un monde devenu fou.

Expiant nos problèmes sociétaux, l’intime rejoint le collectif, la société et ainsi, ses divers troubles. Sur ce constat funeste, il ne reste plus qu’à relancer la galette pour danser une nouvelle fois dans la crasse et la démence.

Cave World

par Viagra Boys

9
sur 10

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